Un soir, place de la République…

Le soir, place de la République, il y a des vieux, des jeunes, des Parisiens, des touristes, des gens à vélo et d’autres qui s’arrêtent.

Puis il y a un passant qui passe. Ce qui est logique pour un passant. Briquet à la main, il allume sa clope, puis une bougie posée aux pattes du lion du suffrage universel. Puis celle d’à côté. Puis celle à côté de la bougie d’à côté. Et ainsi de suite. Puis sa clope le gêne dans sa nouvelle mission. Il la balance. Rallume toutes les bougies, tranquillement. Une à une. Prenant bien soin de les reposer délicatement. Une fois sa mission finie, il remonte sur son vélo et repart.

Il y a aussi un vieux monsieur qui demande aux personnes se recueillant devant le monument, s’ils n’auraient pas, par hasard, un bout de ficelle. A la main, il tient une feuille A4 dans une pochette en plastique. Y est imprimé la photo d’un chien, accompagnée d’une petite prière. Il cherche quelque chose pour tenir son hommage.

« Bah oui, il faut rendre hommage à Diesel, le chien tué dans l’assaut du raid à Saint-Denis. Je suis venu ici l’autre jour et je n’en ai vu aucun. Alors, je voulais y remédier. » m’explique-t-il avec l’accent chargé d’Italie.

« – Je vous ai fait peur ? Vous m’avez pris pour un djihadiste? dit-il en rigolant.

– Nan, tu m’as juste fait sursauter, j’étais dans mes pensées.

– Tu pensais à la tristesse ?

– Peut-être. Je sais pas.

– Vous m’avez l’air sympathique.

– Sympathique toi-même !

– Pourquoi ils ont mis des citrons ?

– Hein ?

– Bah ils ont mis pleins de citrons sur le monument.

– Ha ouais tiens. Bonne question. T’en penses quoi toi ?

– C’est ptète pour faire du ti punch.

– Haha pas mal !

– Ils en parlent pas à la télé ?

– Nan, je crois pas.

– Comment tu vas chercher ça ?

– Heuuu…

– Tu vas mettre : « Pourquoi il y a des citrons sur la place de la République ?« 

– Allez, chiche. »

Marc, 43 ans, dont cinq dans les rues du 11e. Il est venu en Métropole pour reconquérir son amoureuse et retrouver sa fille. Ils ont vécu ensemble deux mois, puis elle a finit par le jeter à la rue. Depuis, il n’a plus revu sa fille. Il vit entre République, Bastille et Châtelet. Le soir, il va dormir dans la station du métro République. Il y fait chaud et les gardiens sont sympas. Il y a bien les hébergements de nuit mais il n’aime pas. Il y a la Boulangerie par exemple, mais il n’y va qu’en cas d’extrême urgence. La Boulangerie est un centre d’accueil avec un dortoir de 200 lits superposés, ça fait donc « 400 bonhommes qui ronflent, qui pètent et qui puent ». Au moins dans le métro, il est peinard. Et puis là-bas, la bouffe c’est du plastique. Quand t’ouvres l’emballage sous vide ça fait « pfiiiiiit ». C’est flippant. Avant, il était dans un centre de longue durée mais, ses bénéficiaires ont étés virés pour accueillir les migrants Syriens et Irakiens.

« Tout ça pour que Hollande passe pour un gentil. Mais nous alors ? C’est pas correct de se débarrasser des gens comme ça, en plein hiver en plus. »

Il porte un petit sac-à-dos et un sac de couchage. A première vue, il a plutôt l’air d’un coquet touriste en goguette.

« J’ai assisté à la tuerie du Casa Nostra. J’étais en train de faire la manche à quelques mètres de là. J’aime pas faire la manche, ça me gêne. Quand j’ai vu une voiture se garer devant le bar. Deux hommes en sont sorti. Ils ont tiré dans la foule, un vrai massacre. C’était la panique générale, tout le monde courait partout. Moi, je me suis caché dans un buisson. » Depuis, il vient souvent se recueillir aux pieds de Marianne.

Puis il me demande ce que veut Daesh et ce qu’ils en disent à la télé. Que répondre ?

« Ha mais ouais, c’est pas con de se cacher dans les buissons. Vu que t’es noir, tu t’es fondu dans la nuit ! En fait, t’es invisible toi dans la nuit ! »

Marc se marre face à cette petite dame qui est venue se mêler à notre conversation.

« – Oups désolée. Enfin je voulais pas me moquer de toi. Au contraire, parce que tu vois…

– Hahahaha nan t’inquiètes, ça me fait vraiment rire.

– Moi j’aime bien les buissons. Une fois avec mon ex, on y a fait des galipettes. On était tellement dingues l’un de l’autre qu’on voulait le faire partout !

– He beh ! Sinon, c’est quoi ta dernière bêtise ?

– Hum… j’aime bien faire des petites folies. Parfois, j’achète un paquet de noisettes ou des steaks hachés congelés et je les glisse au hasard dans des boites aux lettres. Et je ris toute seule. J’imagine les gens allant chercher leur courier et découvrir un steak à la place. Ça me fait mourir de rire. C’est tellement absurde. C’est terrible j’arrive pas à grandir.

– Ho on s’en fiche, qui a besoin de grandir ? « 

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