Le pote de ce dimanche est un pote un peu particulier. C’est un monsieur de 92 ans né en Italie, ancien résistant et marin au long cours, qui est venu tenter l’aventure brésilienne dans les années 50. Il se repose aujourd’hui dans une maison de retraite dans la banlieue de Rio de Janeiro. Il a bien voulu partager ses souvenirs et ses aventures peu communes avec vous. Vous découvrirez ses aventures au fil de ses anecdotes, sur plusieurs dimanches.
Dans les épisodes précédents, vous avez pu faire connaissance avec Joseph à travers ses années de jeunesses dans la résistance ainsi que ses années brésiliennes et sur l’eau en tant que marin. Aujourd’hui découvrez la suite et fin des aventures de notre cher Jojo.
Ce portrait fait partie d’une série autour de la vie de Joseph, retrouvez les autres épisodes :
1 – Les années de jeunesse 2- Les années dans la résistance 3- Les années brésiliennes 4- Les dernières années« En 1978, le Stig Larson, le bateau sur lequel je travaillais depuis longtemps, a été revendu. Il était déjà vieux et puis c’était devenu la mode des containers, il n’était plus à la page. À mon époque, on entassait les marchandises en cales, il y avait aussi 2-3 cabines voyageurs. Puis à l’approche des années 80, ils ont inventé les containers, question de rendement. Tout est devenu plus mécanique, moins humain. Ils ont revendu le bateau à des Portugais et m’ont proposé de m’embaucher mais ça ne m‘intéressait pas. J’ai jamais aimé les Portugais, tous les patrons que j’ai eus ont été des filous. Quand la nouvelle est arrivée, on était à Miami. Le bateau allait directement au Portugal, sans passer par Rio. Alors j’ai pris ma démission et un vol retour pour la Cidade Maravilhosa. J’avais pas mal de sous de côté, alors je m‘en faisais pas, j’avais de quoi voir venir.
QUAND L’OISEAU REVIENT AU NID
Quelque temps après, ma sœur et mon beau-frère viennent me voir au Brésil. Mon beau-frère était un militaire à la retraite qui avait monté son agence immobilière. Comme j’avais quitté les bateaux, il m’a proposé de travailler avec lui dans son agence. Il m’a dit que la France avait changé depuis mon départ, que c’était tellement plus moderne. Alors je me suis dit pourquoi pas.
Je n’étais jamais revenu en France depuis mon départ. Sauf une fois, une occasion ratée. Lors d’un tour d’Europe, notre bateau s’était arrêté en urgence à Marseille pour quelques heures. Ça faisait bien 20 ans que je n’avais pas revu ma ville et ma famille. Une fois arrivé, je suis sorti en courant pour trouver une cabine téléphonique. Malheureusement tout était fermé sur les quais, je n’ai pas pu appeler à la maison. Ce qui fait que je suis passé à Marseille sans pouvoir le dire à ma famille. Ma mère m’avait écrit quelque temps avant en me disant que si je la voyais pas maintenant, je ne la reverrais plus. Elle se sentait très malade. Et en effet, elle est morte peu de temps après.
J’ai donc accepté la proposition de mon beauf et j’ai laissé mon appartement de Rio à ma fiancée, Maria-Aparecida, pour revenir en France. J’étais censé faire de la prospection pour l’agence, il m’avait dit que je pouvais me faire beaucoup d’argent. Mais une fois arrivé, ce fut une toute autre histoire, les affaires ne marchaient pas et il n’avait pas de quoi me payer.
Alors bon gré mal gré, ma tante me trouve un appartement et je reviens travailler quelque temps chez mon ancien patron, celui chez qui je travaillais avant de partir. Je faisais quelques petits boulots et puis j’ai arrêté de travailler pour prendre ma retraite. Entre-temps Maria-Aparecida est venue me rejoindre. Ha Maria-Aparecida ! Elle a été l’amour de ma vie.
MARIA-APARECIDA, SON GRAND AMOUR
Je l’ai rencontré à la Saint-Jean, à Copacabana. Ce jour-là, il y avait une grande fête populaire dédiée à la Lemanja. Il y avait plein de monde dans les rues, j’y étais allé juste pour voir l’ambiance. En marchant sur l’avenue principale, je vois une jolie fille au loin. En m’approchant, je m’aperçois que je l’avais déjà croisé plusieurs fois dans ma rue. Elle habitait à côté de chez moi et on avait déjà échangé des regards. Ce jour-là, elle était seule, alors j’ai enfin osé aller l’aborder. Quand on s’est croisé, je l’ai arrêté en lui disant : « excuse-moi si je t’embête, mais je voudrais te parler.« Elle a souri et de là on a commencer à discuter. Puis on s’est revu pour un rencard. Et la fois d’après, elle m’a invité à dîner chez elle, et c’est comme ça que notre relation a débuté.
Notre histoire a duré 30 ans, avec des hauts et des bas bien sûr, mais ce fut mes meilleures souvenirs. Evidement je n'ai pas toujours été fidèle mais bon, ça c'est autre chose. Elle me manque.
Je n’ai jamais eu d’enfants avec Maria-Aparecida. Elle est bien tombé enceinte 5 ou 6 fois mais elle a toujours avorté. La grossesse la rendait malade, elle ne le supportait pas. Je crois surtout qu’elle ne voulait pas avoir d’enfant. À l’époque, les femmes se faisaient avorter avec un remède hollandais qui leur faisait éliminer le foetus. C’était tellement puissant que ça l’a rendu stérile. Elle l’a regretté plus tard mais bon c‘était trop tard.
Je ne sais pas si je voulais avoir un enfant avec elle. Elle avait quand même un drôle de caractère. Elle était, pour ainsi dire, assez sévère. Je crois que tous les bébés avortés étaient des garçons, je ne sais faire que des garçons ! Tant mieux parce que je n’aurais jamais voulu avoir une fille. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça.
Puis elle est venue me rejoindre à Salon-de-Provence. On avait pas mal de problèmes de visa. À chaque fois qu’elle venait au bout des 3 mois en tant que touriste sur le territoire français, elle devait aller à l’étranger puis revenir et ainsi obtenir 3 mois de plus. Alors comme ça, on est allé en Italie, en Espagne et une fois, elle est partie seule au Portugal. Je la revois encore, elle avait toujours rêvé d’aller au Portugal, elle était tellement contente ! Jusqu’au jour où je lui ai dit : « bon, pour en finir avec ces tracasseries de visa, tu veux pas te marier avec moi ?« Elle a pas bondi de joie. Elle m’a juste dit : « pourquoi pas.«
On a vécu 20 ans à Salon, on était heureux. Elle aidait en cuisine dans un restaurant. Financièrement, on avait pas de problèmes. Elle avait fait faire une maison au Brésil, à Pedra de Guaratiba. J’avais acheté le terrain et elle a fait construire une maison. Tous les deux ans, un de nous deux revenait au Brésil pour « tuer la saudade » et s’occuper de notre appartement à Rio, de la maison à Pedra de Guaratiba. On y allait chacun notre tour. Jusqu’à son dernier voyage.
LES FEMMES ET LES ENFANTS D’ABORD
J’ai eu 3 fils avec 3 femmes différentes. J’ai eu une aventure aussi avec une brésilienne qui partait vivre aux Etats-Unis. Elle travaillait à l’ambassade du Brésil à Washington. Quand ils se sont rendu compte qu’elle était enceinte, ils l’ont renvoyé à Rio. De retour ici, elle a rencontré une Portugaise qui lui a proposé une recette maison pour avorter. Du coup, elle n’a pas gardé le bébé.
Ha ça, j’étais un homme à femmes ! J’ai toujours eu du succès, même ici à la maison de retraite je provoque encore des émois. Et comme tous les marins, j’avais une femme dans chaque port. Mais jamais deux fois la même, ça nan! C’était ma règle d’or.
Mon 1er fils est Français, Hervé. Je l’ai eu pendant la guerre avec une Corse, ma 1ere femme. J’ai divorcé avant de venir au Brésil. Depuis, je ne l’ai plus jamais revu. Un jour, quand je suis revenu en France, il m’a appelé. Il voulait me voir. Alors on s’est donné rendez-vous, je lui avais expliqué comment venir chez moi. Mais il n’est jamais venu, je n’ai pas su pourquoi.
Au Brésil, j’ai eu un deuxième fils, Raphaël, avec une femme du Minas Gerais. Nous sommes restés ensemble quelques années mais ça s’est mal fini. Elle profitait du fait que j’étais en mer pour me tromper. Un jour, je suis revenu de voyage sans prévenir. Je vais faire un tour à la plage et je rentre à la maison pour prendre une douche. Soudain, j’entends quelqu’un entrer dans l’appartement. Je suis tombé nez à nez sur un type qui portait ma chemise. Alors j’ai pris mon revolver et je lui ai dit : « Alors comme ça, c’est toi qui viens quand je suis pas là et qui mets mes frusques ? » Il a bafouillé. Alors je lui ai dit : « Ferme ta bouche où je te mets une balle dans la tête ! » Quand il a entendu ça, il a détalé comme un lapin. Et ça s’est fini comme ça, je voulais plus entendre parler d’elle.
J’ai aussi eu un fils avec une femme de Bahia, je me souviens plus de leurs noms. Elle était trop dépensière, elle accumulait les dettes. Alors un jour j’en ai eu marre et je suis parti. Je n’ai plus eu de leurs nouvelles.
LE JOUR OÚ JOSEPH A TOUT PERDU
Un jour, il y a une dizaine d’années, Maria-Aparecida est parti en vacances à Rio, comme d’habitude. Je n’ai pas eu de nouvelles quand elle est arrivée, mais bon je ne me suis pas plus inquiété. Puis, quelques jours plus tard, je reçois un coup de fil de sa sœur. Elle m’annonce qu’elle l’a retrouvé morte, déjà en décomposition, dans notre cuisine. Elle a dû avoir une crise cardiaque, on a jamais su de quoi elle est morte exactement. Mon monde s’écroulait.
Alors j’ai appelé mon fils, Raphaël. Il la connaissait un peu, il venait quelques fois nous voir à la maison. Je voulais qu’il aille à l’enterrement à ma place, vu que je ne pouvais pas y aller.
Puis, il a fallu s’occuper de nos biens immobiliers, il y avait notre appartement à Rio, notre maison de campagne et elle avait un terrain à Santa Teresa, qu’elle avait hérité de ses parents. Alors j’ai pensé à mon fils. Je lui ai demandé de venir en France avec sa femme, je leur ai payé les billets. C’était plus simple que ce soit lui qui s’en occupe. Ils sont venus me voir à Salon, je lui ai confié de l’argent pour qu’il le place au Banco do Brasil. Puis je lui ai aussi demandé de s’occuper de l’appartement, je lui avait donné une procuration pour qu’il s’occupe de l’héritage etc. Il était d’accord.
À cette époque, je n’avais plus de famille. Mes parents et ma tante étaient morts depuis longtemps et je ne parlais plus à ma sœur depuis la mort de mon père, parce que mon beau-frère m’avait arnaqué. Maria-Aparecida n’étant plus là, il ne me restait plus que Raphaël.
Il a fait plusieurs aller-retour comme ça. Jusqu’au jour où je suis revenu en vacances au Brésil. Il était venu me chercher à l’aéroport et m’a emmené chez lui, dans la banlieue de Rio. Le lendemain, je lui demande de m’emmener chez moi, dans le centro. Il me menait en bateau en me disant qu’il m’y conduirait le lendemain. Ça a duré un moment comme ça. Jusqu’au jour, où les huissiers sont venus chez lui pour lui sommer de quitter son appartement. Il ne payait plus son loyer depuis longtemps. Il n’avait plus un sous en poche. Alors ce jour-là, il m’avoue qu’il a vendu mon appartement et la maison depuis longtemps, il avait aussi vidé mon compte en banque. Je me retrouvais sans rien. Je l’ai engueulé comme jamais et je suis parti.
J’étais perdu, je ne savais pas quoi faire. Mon visa avait déjà expiré, je me retrouvais clandestin et sans un sous en poche. Heureusement, il me restait quelques économies sur un compte où je faisais rapatrier ma retraite française. Je suis alors allé au Consulat pour expliquer ma situation. Ils m’ont alors parlé de la Casa São Luiz. C’est une fondation française qui s’occupe d’une maison de retraite pour francophones à Rio.
Et c’est comme ça, que j’ai atterri ici. J’y suis bien, c’est tranquille. Mais ça me désole de me voir vieillir. Je ne peux plus marcher seul, je ne peux plus rien faire sans aide, j’ai perdu mon autonomie. Après la vie que j’ai eu, je me sens infantilisé. J’en ai marre, mais bon, c’est comme ça.
Depuis que je suis ici, mon fils est à peine venu me voir. La dernière fois, c’était en début d’année, il n’est même pas resté une heure. Il m’a demandé si je voulais qu’il me rapporte quelque chose pour la prochaine fois qu’il reviendrait. Je lui ai demandé un bon morceau de viande, j’adore ça. Eh bein, je l’attends toujours.
Mon plus grand regret ça été de jeter mon journal. J'avais un carnet dans lequel je racontais ma vie, mes voyages. Je voulais en faire un bouquin. Mais un jour, à l'aéroport, je devais alléger ma valise. Et je ne sais toujours pas pourquoi, je l'ai jeté à la poubelle. Je le regrette encore amèrement. Alors merci, pour ça.
Monsieur Joseph est un vieil aventurier de 92 ans qui se repose dans sa maison de retraite avec vue sur son cher port maritime. Il est très fier de partager son histoire avec vous. C’est une façon pour lui de rattraper son livre perdu.