« Le Vénézuela est une dictature silencieuse » – Carlos

Le premier pote de 2016 est Carlos. Ancien champion de planche à voile, il se considère aujourd’hui comme un réfugié politique au Brésil. Son pays ? Le Vénézuela, où le chavisme triomphant cache ses côtés sombres et où son peuple souffre en silence.

Carlos tient à partager avec vous sa colère, celle qui animent ceux qui ont fui un pays qui ne leur appartient plus. Rares sont les témoignages de la vie quotidienne au Vénézuela, voici celui de Carlos.


La semaine dernière, Carlos vous racontait ses années de sportif de haut niveau en tant que véliplanchiste dans la sélection nationale vénézuélienne. Aujourd’hui, il vous raconte sa rencontre avec sa future femme, sa retraite sportive et surtout, le quotidien au Vénézuela et la dictature chaviste.

De la planche à voile au café gourmet

Pendant les entraînements au gymnase pour préparer les J.O. de Pékin, Carlos rencontre une jolie prof de fitness. Il a 26 ans et elle, 12 ans de plus. Elle ne veut pas se laisser séduire par ce gamin tout foufou. Pour réussir à décrocher son numéro de téléphone, il ment sur son âge et à force d’insistance, obtient un premier rendez-vous. Un an plus tard, ils se marient après les J.O. de 2008 à Pékin. Ce seront les derniers pour Carlos. Il prend sa retraite dans le sport de haut niveau pour ouvrir un café gourmet avec sa jeune épouse, à Cumanà, leur ville natale. Il fera le choix de ne pas avoir d’enfants, pour pouvoir élever ceux de sa femme, deux garçons d’aujourd’hui 23 et 13 ans.

La femme de Carlos, lors d'une manifestation anti-Chavez.

La femme de Carlos, lors d’une manifestation anti-Chavez.

Le café marche bien et devient même le meilleur café gourmet de la ville. Mais très vite les ennuis commencent. D’une part, ils entament une procédure judiciaire contre le père des enfants pour maltraitance. Ils ont tout tenté, pendant des années, pour le faire condamner. Malheureusement, il ne sera jamais inquiété. 

« Avec toutes les preuves que nous avions rapportées à la justice, il aurait dû être condamné à au moins 6 mois de prison. Mais vu que sa sœur était, justement, juge aux enfants à Caracas, il n’a jamais été inquiété. Ce n’est pas normal. Comment un type qui a maltraité, physiquement et psychologiquement, sa femme et ses enfants puisse rester impuni ? Il n’y a aucune justice dans ce pays corrompu. Ces cinq années de combat ont été étouffées.« 

D’une autre part, ils sont embêtés par la propriétaire de leur local commercial. Face au succès du café, elle leur demande le double du loyer. Ils lui intentent un procès, car cela est illégal. En représailles, la propriétaire brise le toit en verre du centre commercial où se situe le café, pour les empêcher de travailler. Carlos et sa femme répondent par un pied de nez, ils installent des parasols et des tables en terrasses. Ses bisbilles dureront plus de cinq ans.

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Le communisme appliqué au monde de l’entreprise

En 2008, la crise mondiale et celle du chavisme touchent le pays. Les matières premières viennent à manquer, les rayons des supermarchés se vident. Le couple ne peut plus approvisionner leur commerce comme il se doit. Puis le prix du travail double, le gouvernement impose des hausses de salaire et de charges sociales. À l’époque, ils ont huit employés, mais très vite, ils se retrouvent obligés d’en licencier la moitié, faute d’argent. Le café sombre petit à petit dans la faillite.

« Les clients venaient et demandaient un café. Je leur répondais qu’il n’y avait pas de café. Alors il me demandait un gâteau, je devais encore leur répondre que je n’avais pas d’ingrédients pour faire les gâteaux. Comment je fais pour accueillir mes clients si je n’ai ni farine, ni sucre, ni lait ? Comment je fais pour vivre ? »

En tant que régime communiste, l’État tient à garder le contrôle sur les entreprises privées. Pour cela, il édite des lois drastiques. Par exemple, le code du travail privilégie beaucoup plus le travailleur que l’employeur.

« Il n’y a pas un équilibre, une égalité à 50-50 entre les deux parties. Tout est favorable aux salariés. Ça m’a causé du souci en tant que patron. Un de mes employés a volé dans la caisse, j’en avais les preuves. Mais comme tu ne peux pas renvoyer un salarié comme ça, tu dois envoyer le cas en justice. J’ai donc dû amener les preuves devant le juge comme quoi, il volait dans la caisse et que c’était la raison pour laquelle je voulais le renvoyer. Même si mon employé était en tort, j’ai dû lui payer trois mois d’indemnités. C’est complètement absurde !
Ça, c’est la politique du gouvernement marxiste. C’est du pur populisme pour que les ouvriers votent en faveur du gouvernement; pour que le peuple se sente compris et qu’il maintienne le régime chaviste. C’est très bien étudié. Et c’est comme ça que fonctionne le pays.« 

Un homme assis devant un graffiti représentant Hugo Chavez et son "rêve socialiste" © Jorge Silva pour l'agence Reuters

Un homme assis devant un graffiti représentant Hugo Chavez et son « rêve socialiste » © Jorge Silva pour l’agence Reuters

Quant à la gestion des entreprises publiques, le gouvernement y applique des méthodes ubuesques. Pour exemple, celle de la crise de Petróleos de Venezuela SA, la compagnie pétrolière d’État. Elle est gérée d’une main de fer par le ministère de l’Énergie et du Pétrole. En 2002-2003, les cadres et employés de PVSA ont paralysé l’entreprise pendant deux mois afin de pousser Hugo Chavez à la démission. En réponse, El Comandante a demandé le licenciement des 19 000 employés grévistes, ce qui représentait 64 % des effectifs de la compagnie. Ces employés ont été remplacés par d’anciens retraités et des jeunes mal formés.

Cette décision dictatoriale a entrainé des dysfonctionnements au sein de l’entreprise, mais également à l’échelle nationale. En interne, cette mesure a fait baisser la productivité et le moral des salariés. Le blocage de la production a également entrainé une hausse considérable du chômage, passant de 5 % à 20% en mars 2003 ainsi qu’une perte monétaire de 10 milliards de dollars. De plus, l’Organisation internationale du travail a demandé au gouvernement d’enquêter sur des allégations de torture au cours de cette grève. 

Le chavisme selon Carlos

Graffiti représentant Chavez et Maduro avec le slogan : "Chavez vit, la lutte continue."

Graffiti représentant Chavez et Maduro avec le slogan : « Chavez vit, la lutte continue. » © Federico Fuentes pour Green Left Weekly

Elu président de la République en 1998 avec 56 % des suffrages, Hugo Chavez prône la révolution bolivarienne au Vénézuela. Simon Bolivar fut un des leaders de l’émancipation des colonies espagnoles d’Amérique du Sud dès 1813. Pour mener à bien sa révolution communiste, Hugo Chavez s’inspire de Fidel Castro et place des castristes aux postes clefs, tels que les forces armées, la police et les services de renseignements. Pendant ses trois mandats et quatorze années au pouvoir, Chavez a fait vivre l’héritage militaire dans ses discours, dans les symboles et les institutions mises en place. Devant les foules, en béret rouge et tenue de combat, il aime à se faire appeler « commandant ». Chavez impose sa politique en la calquant sur le modèle cubain. Et tout comme Fidel Castro, la politique de Hugo Chavez lui survit avec son successeur, Nicolas Maduro.

« En vérité, Chavez était populaire au Vénézuela surtout auprès des plus pauvres. Mais c’était un manipulateur de première. Il manipulait les plus démunis à coup de propagande pour se maintenir au pouvoir. Mais en vérité, il n’a rien fait pour eux. Lui, il avait tout intérêt à ce que les gens restent pauvres et dépendants du gouvernement. Ils leur donnent des miettes pour que les gens restent tranquilles et ne se plaignent pas. Toutes les lois ont été faites pour obtenir le pouvoir et garder le contrôle sur toutes les institutions publiques, comme le tribunal national suprême ou le syndicat agricole.« 

Sur cette photo Carlos illustre la dévaluation du Bolivar, la monnaie vénézuélienne. D'un côté, un billet de 100 $ et de l'autre, la même somme en Bolivar.

Sur cette photo Carlos illustre la dévaluation du Bolivar, la monnaie vénézuélienne. D’un côté, un billet de 100 $ et de l’autre, la même somme en Bolivar.

Selon Carlos, le problème au Vénézuela n’est pas un manque de ressources ou de possibilités. Les terres sont fertiles, il n’y a pas d’embargo. Le problème vient de l’étatisation des anciennes entreprises privées. Le gouvernement s’est approprié toutes les entreprises, mais il ne sait pas les gérer correctement. Il n’y a plus d’investissement et ce, dans tous les domaines que ce soit agricoles ou industriels. L’Etat appauvrit la production pour se concentrer sur l’exploitation des champs pétroliers. Ce qui fait que le Vénézuela ne produit ni nourritures, ni produits manufacturés. Du coup, le gouvernement doit tout importer, nourriture et produits de bases, en payant avec l’argent du pétrole. 

« Ils ne l’avoueront jamais, mais c’est comme qu‘ils gèrent le pays. Et après, ils se font passer pour des gentils parce qu’ils remplissent les étals des magasins. Mais ce qu’ils ne disent pas, c’est que la plupart du temps quand la nourriture arrive dans les supermarchés, elle est déjà périmée. Et en plus, ils la vendent à un prix exorbitant. De la pure corruption.« 

Une petite fille devant une fresque représentant Hugo Chavez - © JUAN BARRETO/AFP/Getty Images

Une petite fille devant une fresque représentant Hugo Chavez – © JUAN BARRETO/AFP/Getty Images

« Le Président fustige la classe moyenne et supérieure en les stigmatisant et les insultant et en vantant la pauvreté. C’est comme ça que je le vois. Basiquement, il dit qu’il vaut mieux être pauvre que de posséder quelque chose. Il dit ça parce qu’il a tout intérêt à garder ses électeurs les plus défavorisés et de les maintenir dans le besoin et sans éducation. C’est dégueulasse. Et ce discours crée une division entre les classes et aussi dans les familles. Et en attendant, actuellement, tu ne peux pas trouver des produits de base comme le riz, la viande ou du dentifrice.

Et pendant ce temps-là, le gouvernement ou ta propre mère vient te dire que tout va bien. C’est normal ça ? Le gouvernement vend une image de propagande à l’intérieur et en dehors du pays, en disant que tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais ce que personne ne veut voir, c’est qu’on n’a même pas de papier toilette ou de dentifrice ou n’importe quels produits de première nécessité. Ha ça c‘est sûr, ceux qui sont proches du gouvernement et qui reçoivent des dollars, comme ma mère, ils sont bien au chaud, ils ne manquent de rien. Ils ne font pas la queue des heures durant pour acheter un paquet de couche ou de lait pour leurs enfants. Et quand bien même, ils se taisent par peur des représailles. Elle est là, la réalité vénézuélienne aujourd’hui. Le Vénézuela est une dictature silencieuse, qui ne dit pas son nom.« 

« Je passais ma vie à faire la queue. »

Des vénézuéliens faisant la queue devant un supermarché. © Carlos

Des vénézuéliens faisant la queue devant un supermarché. © Carlos

Le Vénézuela a une économie portuaire. Tout y est importé, la seule exportation reste le pétrole. Le Vénézuela abrite, dans sa région amazonienne, les plus grosses réserves mondiales. Il est actuellement le 5e exportateur de pétrole brut. Aujourd’hui, le monde de l’or noir s’effondre à mesure de la chute du prix du baril. Pour le pays, qui reste complètement dépendant des pétrodollars, cela signifie moins d’importations et donc un enlisement dans une crise économico-sociale sans fin.

« En ce moment, la situation au Vénézuela est très précaire. C’est simple, rien ne marche. Il n’y a pas d’accès à l’éducation, ni la santé, ni au travail. Au niveau du quotidien, on a des problèmes dans tous les secteurs. »

Des femmes faisant la queue pour acheter des couches pour leurs enfants.

Des femmes faisant la queue pour acheter des couches pour leurs enfants. © Carlos

« Chaque jour, je passais plus de 4h à faire les courses. Rien de bien fou, juste de quoi faire tourner la boutique et mettre à manger sur notre table. Depuis que je suis arrivé au Brésil, je me ris du temps, t’imagines même pas! »

Face à la pénurie de nourriture dans les supermarchés, le gouvernement a mis en place un système de rotation. A l’entrée des magasins tenue par l’Etat, les clients doivent pointer devant une machine à reconnaissance digitale. Leur empreinte est reliée à leur carte d’identité. Le dernier numéro de la carte d’identité définit qui a le droit de faire ses courses ce jour-là. Le lundi, seuls les porteurs de numéro d’identité finissant par 2 et 3 peuvent acheter des aliments. Le mardi, seulement ceux finissant par 4 et 5 peuvent entrer. Et ainsi de suite. Si un client, veut entrer dans un supermarché alors qu’il a déjà acheté des produits la veille, il se verra interdit l’accès avant 7 jours. Et ce système fonctionne par foyer. Chaque foyer, se doit de ne faire les courses qu’une fois par semaine. Quant aux supermarchés privés, leurs étals sont vides.

« Le pire c‘est au niveau médical. Tu sais comment ils soignent les brûlures actuellement au Vénézuela ? Avec des blancs d’oeufs, parce que les rayons des pharmacies aussi sont vides. 

Par exemple, quand tu arrives à l’hôpital t’es accueilli de suite, mais par contre, ils n’ont rien pour te soigner. Ils vont te dire : « ok tu as telle maladie, il te faut donc tel médicament. On veut bien te faire une piqûre mais il faut que tu nous apportes le médicament, la seringue, le coton et l’alcool. » Alors tu ressors avec ton ordonnance et tu vas à une première pharmacie. Ils vont te donner la seringue, mais pas le reste, car ils en ont plu. Alors tu dois aller dans une autre pharmacie pour peut-être trouver du coton par exemple. Et dans une autre, pour trouver la seringue, etc. T’as le temps de mourir quoi.

Actuellement au Vénézuela il n’y a plus d’Ibuprofène, plus de médicament pour le cœur, ni pour le diabète, il n’y a même plus de préservatifs. C’est criminel ! Quant aux femmes, elles souffrent beaucoup, car elles ne trouvent plus de moyens de contraception, ni de protections hygiéniques.« 

Ci-dessous une vidéo prise par Carlos, à la fenêtre de son appartement à Curcumà. Nous pouvons y voir des mères de familles, faire la queue pendants des heures devant un magasin, pour acheter des couches pour leurs bébés. Pour obtenir un seul paquet de couches, les parents doivent présenter leur pièce d’identité ainsi que celle de leurs enfants.

Carlos détaille un autre exemple, dans le domaine automobile : « Nous avions deux voitures. Et un jour, j’ai dû changer les deux batteries. J’ai dû attendre plus d’un mois avant d’en obtenir une neuve. J’étais sur liste d’attente durant un mois pour que l’administration me donne un coupon puis quand elle est arrivée, j’ai dû faire la queue devant le garage pendant trois jours avec mon coupon pour pouvoir l’acheter. Je ne sais pas si tu t’en rends compte ! Et encore, j’ai eu de la chance que la mienne soit bien arrivée. Parce que si dans le colis que reçoit le garage, il n’y a pas celle que j’ai demandée; je dois revenir le mois suivant et attendre encore 3 jours devant l’officine. 

C’est quasiment impossible d’acheter une pièce de voiture neuve, t’es donc obligé d’en récupérer sur des autos à la casse et de faire toi-même les adaptations pour ta propre voiture. Pour les pneus, tu dois faire la queue pendant 3 jours devant le garage et tu as le droit qu’à un pneu par personne et pas mois. Alors si tu dois changer les 4 pneus, tu peux toujours attendre. Et tout est comme ça. C’est intenable. Tu passes ton temps à attendre pour réussir à acheter, à un prix exorbitant, des produits de base.« 

Et c’est comme ça pour tout. Par exemple, au café, le couple a eu deux frigos qui sont tombés en panne. Ils ont mis 7 mois avant de trouver toutes les pièces nécessaires à la réparation d’un seul des frigos. L’électro-ménager tombe constamment en panne à cause du réseau d’électricité, il est en si piteux état que les coupures de courant sont quotidiennes. Tout comme le reste des services publics, que ce soit le gaz de ville, l’eau courante, les écoles, les hôpitaux, la police, etc.

Le Vénézuela après la mort de Hugo Chavez

Carlos estime que les choses s’aggravent à mesure que le temps passe, surtout depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président, Nicolas Maduro.

« Je trouve que Maduro est pire que Chavez parce qu’il est plus en mesure de renforcer la politique bolivarienne. Il a été formé à Cuba. Si Chavez était entouré de conseillers cubains, Maduro lui a fait ses études à Cuba, il est donc imprégné de leur idéologie jusqu’à l’os. Il applique les préceptes cubains à la lettre. Dans ce sens, il est plus directif que Chavez parce qu’il ne bénéficie pas de la même popularité. Chavez y allait doucement dans la radicalisation, parce qu’il voulait avant tout se faire aimer. Quant à Maduro, il s’en fiche d’être aimé, du coup, il n’hésite pas à accélérer la « cubanisation » du pays.« 

Après la mort de Chavez en mars 2013, Nicolas Maduro, désigné par El Comandante comme le successeur légitime de la révolution bolivarienne, assure la présidence de la République en intérim. Il est ensuite élu à 50,6% des voix. Durant ces élections, Carlos milite pour le candidat de l’opposition, Henrique Capriles, candidat de centre-gauche battu par 250 000 voix en faveur de Maduro. Alors retraité du milieu sportif, Carlos n’a plus rien à perdre et n’a plus peur d’afficher ses convictions politiques. Il milite activement en faveur du candidat Capriles et participe à des campagnes d’appel aux votes, où il conduit des personnes isolées jusqu’aux urnes.

Carlos, sa femme et son plus jeune fils, aux côtés de Henrique Capriles, candidat de l'opposition aux dernières élections présidentielles. "Il était notre seul espoir et ils nous l'ont volé." commente Carlos devant cette photo. © Carlos

Carlos, sa femme et son plus jeune fils, aux côtés de Henrique Capriles, candidat de l’opposition aux dernières élections présidentielles.
« Il était notre seul espoir et ils nous l’ont volé. » commente Carlos devant cette photo. © Carlos

« Mon action était plus citoyenne que partisane. Je voulais juste que les gens les plus délaissés par la politique puissent s’exprimer. Après, je ne sais pas pour qui ils votaient et cela ne me regardait pas. Je gardais juste l’espoir qu’ils votent en conscience des choses.« 

Peu après ces élections et son engagement politique au sein des manifestations violentes qu’ont connues le pays, Carlos et sa famille sont victimes de violences. À deux reprises, cinq individus armés s’introduisent chez lui pour séquestrer sa famille et vider l’appartement de ses objets de valeur. Il alerte la police, sans succès. La police est beaucoup trop corrompue et n’a pas assez de moyens pour lutter contre les violences quotidiennes. Il ne saura jamais si c’est un malencontreux hasard ou des représailles politiques. Durant cette période, il assure avoir été suivi en voiture et photographié à son insu à plusieurs reprises.

D’un autre côté, Carlos décrit aussi un climat d’insécurité extrême. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, le Vénézuela arrive en 5e position des pays les plus dangereux du monde, hors zones de conflits.

« Il est quasiment impossible de se promener tranquillement dans la rue ou même de rester chez soi. On vivait dans la peur constante d’être agressés. Il y a toujours eu de l’insécurité au Vénézuela, surtout quand vous avez une « tête de riche », mais aujourd’hui, c’est devenu intenable. Les gamins des favelas sont armés, les bandes sont devenues incontrôlables et la police ne fait rien. Par manque de moyens, mais aussi de volonté, je pense. Tu te rends compte que, souvent, les patrouilles de polices n’ont même pas de voitures. Comment veux-tu qu’ils arrêtent les bandits. 

Et cela profite à la délinquance. Il n’y a pas d’éducation publique valable au Vénézuela. Dès la maternelle, on apprend aux gamins à chanter l’hymne de Chavez, « Patria amada ». Mise à part ça, aucun investissement n’est fait pour éduquer les mômes. Ils se retrouvent alors s’en rien faire et tombe dans la délinquance. Ce qui arrange bien le gouvernement. Ils ont tout intérêt à maintenir les gens dans le besoin et la peur pour pouvoir asseoir leur pouvoir. Le gouvernement arme les gangs pour asseoir la révolution bolivarienne. Au Vénézuela, tout est politique.« 

Début décembre 2015, le PSUV, parti de l’opposition, raffle 99 sièges sur les 167 du parlement vénézuélien, ne laissant plus que 46 sièges aux chavistes. C’est une victoire historique qui montre la lassitude de la population face à la politique du Président Maduro. Mais malgré cette avancée, Carlos reste pessimiste quant à l’avenir de son pays :

« Le pays est dans une situation très difficile et je ne pense pas que ça aille en s’améliorant. Nous sommes complètement dépendant du pétrole et comme actuellement le baril est à 26$, je crains une avarie complète. Même avec l’arrivée de l’opposition à l’Assemblée nationale, je ne pense pas que ça va s’arranger. Je pense que justement, la situation va vraiment tourner au vinaigre. Maintenant que l’opposition prend de l’ampleur et à mesure que les gens ont moins peur des représailles, je crains que le gouvernement aille à l’affrontement pour garder sa toute puissance.« 

L’exil de Carlos et sa famille

« J’en avais marre de vivre dans la peur. J’en pouvais plus de lutter pour des choses simples comme travailler, manger ou juste se balader dans la rue. J’ai essayé à mon échelle de changer la situation, mais je suis fatigué. Je ne vais pas attendre d’être vieux, pour peut-être voir mon pays s’améliorer. Je veux une autre vie pour mes enfants. Le Vénézuela ne va pas changer du jour au lendemain, ça va mettre au moins 20 ans pour que la situation commence à s’améliorer. Je veux pas attendre d’avoir 70 ans pour enfin pouvoir ouvrir la porte de chez-moi et pouvoir dire : « ah, je peux enfin sortir librement.« 

À bout de forces, Carlos vend tous ses biens et lance un appel à ses amis véliplanchistes. Au mois d’août dernier, il envoie un mail à ses meilleurs amis, rencontrés lors de championnats internationaux de windsurf. Il y a David le Mexicain, le Portugais João, l’Espagnol Ivan et Bimba, le Brésilien. Il y écrit : « Mes amis, on se connait depuis des années et vous savez à quel point ma situation est difficile. Je vous en supplie, aidez-moi. J’accepte toutes opportunités, dites-moi où aller et je viens.« 

De gauche à droite : David, Bimba, João, Ivan. © Carlos

De gauche à droite : David, Bimba, João, Ivan. © Carlos

David lui propose du travail au Mexique ainsi que Bimba à Buzios, au Brésil. Comme il connaissait déjà bien Buzios et qu’il était son meilleur ami, la famille a décidé de partir pour le Brésil. Alors David, lui a prêté l’argent pour payer les billets d’avion. Ivan leur prête gracieusement sa maison et sa voiture à Buzios, le temps de se retourner. João aussi les aides beaucoup. Son départ a été difficile, car il est extrêmement compliqué de sortir du Vénézuela, l’État bloque la sortie de capitaux et de ses ressortissants.

« Je suis tellement reconnaissant envers mes amis. Grâce à eux, j’ai pu fuir le Vénézuela. Je me considère comme réfugié politique, même si ce n’est pas officiellement reconnu. Le chavisme a ruiné ma vie et celle de mes concitoyens.« 

Aujourd’hui, Carlos est professeur de voile dans l’école du champion brésilien Bimba, qui va concourir aux prochains J.O. à Rio de Janeiro. Il s’occupe également du projet social du club. Il donne bénévolement des cours de windsurf aux enfants les plus démunis. Il y a actuellement 15 enfants bénéficiant de ses cours et il a le projet de créer une colonie de vacances pour occuper ces mômes hors périodes scolaires. Pour l’instant, le projet est financé par les moyens du club, mais ils sont insuffisants, il espère pouvoir le financer par des dotations publics ou privés afin d’étendre son action.

« Ce n’est pas facile tous les jours. C’est pas évident de mettre ta vie dans une valise et quitter ton pays vers l’inconnu. Nous ne sommes pas partis par plaisir mais parce que ce n’était plus tenable, on est pas venu de gaité de coeur. Nous devons nous adapter à un nouveau pays et à de nouvelles conditions financières, mais je préfère être dans une situation précaire au Brésil que de rester au Vénézuela. Ici, je me sens en sécurité et surtout, je me sens libre.

Je retrouve l’espoir d’offrir de meilleures perspectives à ma famille. Ce que nous vivons au Vénézuela, je ne le souhaite à aucun autre peuple. Vous n’imaginez pas la souffrance qu’endure la population. Et celle aussi de ceux qui voudraient partir, mais qui ne peuvent pas. Nous sommes très chanceux d’avoir pu nous échapper. « 

Je vivais emprisonné dans mon propre pays. Il n’y pas de liberté économique, politique, d’expression, de se déplacer, ni même de penser. Il y a une pression politique constante, tout est contrôlé. La presse y est muselée. Il n’y aucune paix ! Personne ne peut vivre comme ça ! Tu ne travailles pas pour vivre, mais tu vis pour travailler. Les travailleurs se sentent comme les esclaves égyptiens transportant les pierres pour construire les pyramides des pharaons. Nous travaillons pour édifier le chavisme. Tout ça pour que le chavisme te vole tout ce que t’as. Et au lieu de voir ta vie s’améliorer, tu la vois régresser.

Il faut que le monde vienne voir ce qui se passe au Vénézuela et se rende compte que c’est une dictature militaire qui abandonne son peuple. Et non pas la propagande d’une démocratie socialiste où tout est rose comme on le voit souvent dans la presse étrangère. »


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