Notre premier pote du dimanche de 2016 est Carlos. Ancien champion de planche à voile, il se considère aujourd’hui comme un réfugié politique au Brésil. Son pays ? Le Vénézuela, où le chavisme triomphant cache ses côtés sombres et où son peuple souffre en silence. Entre nostalgie sportive et militantisme politique, Carlos partage avec vous ses années de sportif de haut niveau et ses rêves de lendemains qui chantent. On revient aujourd’hui sur ses anciens rêves olympiques.
Carlos vient de Cumanà, une petite ville au nord-est de Caracas, face à la Isla Margarita, une des perles des Caraïbes. Sa mère est une argentine ayant fui la dictature de Perron pour rejoindre la Bolivie puis le Pérou et la Colombie, jusqu’à s’établir au Vénézuela. Là, elle rencontre le père de Carlos avec qui elle aura 3 fils. Le père les abandonne rapidement. La mère se retrouve seule pour élever ses trois garçons, elle est rejointe par les grands-parents venant d’Argentine pour l’aider.
« Je n’ai pas eu une enfance confortable par manque du père et d’argent, mais ça a été. À l’époque, c’était déjà dur au Venezuela. À vrai dire, ça n’a jamais été facile. Mais c’était moins compliqué qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas autant de divisions politiques et les services publics étaient meilleurs. J’ai grandi dans une époque pré-chaviste, un temps plus tranquille. Jamais, je n’aurais imaginé ce futur sombre. »
La fratrie va à l’école publique, qui était encore de qualité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car l’enseignement public manque de moyens et de neutralité pédagogique selon Carlos. Bon élève, il suit tranquillement ses études jusqu’à l’équivalent de la Terminale, année où il se passionne pour le monde de la voile. L’ado passe alors tout son temps à naviguer et finit par redoubler son année.
« Le windsurf est quasiment inconnu au Vénézuela, avant mes 19 ans, je ne savais même pas que ça existait. Un jour, il y a eu une compétition nationale de planche à voile dans ma ville natale. Là, ça a été la révélation. Quand j’ai vu tous ces jeunes glisser sur la mer, j’ai tout de suite accroché. Et j’ai tellement insisté pour en faire que j’ai fini aux Jeux olympiques !«
Carlos et Bimba à l’entrainement
À l’âge de 19 ans, sa mère vend la voiture familiale pour acheter une planche d’occasion. Carlos commence alors à s’essayer à la glisse dans son coin. Il observait au loin les quelques véliplanchistes qui naviguaient puis essayait de les imiter.
« J’ai découvert la planche à voile sur le tard, en regardant d’autres en faire. J’ai commencé avec un équipement vétuste. La voile et la planche étaient bien usées, on les rafistolait avec les moyens du bord.«
Il est très vite rejoint par son jeune frère qui deviendra son meilleur concurrent. Les garçons se débrouillent tellement bien qu’ils sont repérés par un entraineur qui leur propose un deal. Il les prendra sous son aile en échange de quoi, ils travailleront en tant que profs de windsurf dans un hotel de la côte. Marché conclu, les deux frangins vont passer 4 ans auprès de leur mentor. Doués, ils commencent de suite la compétition et grimpent les échelons en un temps record.En l’espace de 3 ans, ils trustent les premières places des podiums nationaux et se retrouvent en haut du classement vénézuélien. En parallèle, il suit des cours du soir à la fac et obtient un diplôme de technicien supérieur en informatique.
« Mon frère, Daniel, et moi étions toujours aux coude-à-coude. Nous finissions toujours en tête, souvent, j’arrivais premier et lui deuxième. Il a toujours été mon meilleur ennemi. On s’adore, mais fatalement, il y a toujours eu un fond de compétition entre nous. Je pense qu’il a toujours eu les boules d’être mon éternel second. Maintenant que je suis en retraite sportive, il est enfin le meilleur.«
En 2002, les frangins s’envolent vers l’Argentine pour s’entraîner avec l’équipe nationale pour les Jeux Panaméricains de 2003 à Saint-Domingue. Lors des périodes de préparation Carlos effectuait 4 séances de sport par jour : planche à voile, musculation, natation et vélo. Il considère que c’est un sport plus physique que le triathlon. Carlos termine 6e puis se qualifie pour les J.O. d’Athènes.
« Je n’ai jamais vraiment brillé dans les compétitions internationales. On n’avait pas assez de moyens pour s’entraîner comme il faut. Ma meilleure place a été une médaille d’argent aux jeux panaméricains. Les autres participants faisaient des stages, etc. Ils avaient la possibilité de se dédier complètement à la voile. Pas nous, nous devions travailler. Le gouvernement est bien trop corrompu pour financer quoique ce soit.«
Carlos décroche sa place aux J.O. d’Athènes de 2004 juste devant son frère. Même chose pour les sélections des J.O. de Pékin en 2008. Son frangin prendra le relais pour ceux de Londres et espère venir à Rio l’année prochaine.
« Les J.O. c’est une consécration pour tout sportif. C’était mon rêve le plus fou. Peu importait le résultat finalement. J’étais tellement ému quand je suis entré dans l’arène, c’était juste indescriptible. C’est aussi là où je me suis rendu compte que pour gagner les Jeux, il fallait être vraiment super fort. Ce sont les meilleurs athlètes du monde. Mais qu’aussi tout se joue au niveau de l’investissement des fédérations. En tant qu’athlète venant d’un pays en développement, je partais avec une longueur de retard. Ce n’est pas comparable avec les conditions des sportifs du premier monde. »
Carlos termine 25e sur 35 compétiteurs, un score honorable pour celui qui était parti de rien et qui représentait le seul voileux de son pays. Quatre ans plus tard, ils seront trois à représenter le Vénézuela en catégorie voile et il sera le seul en windsurf. Il se prépare alors à la compétition au Brésil, auprès du grand champion carioca, Ricardo Winicki aka Bimba, qui deviendra son meilleur ami. Il est très fier d’avoir enchainé deux J.O. car ce n’est pas donné à tout le monde. Pour cela, il ne compte sur l’appui de personne d’autre que lui. Il investit sur ses propres fonds pour venir s’entraîner à Buzios avec les meilleurs. Parce que selon Carlos : « s’entrainer avec les meilleurs te hisse à leur niveau. »
« J’ai connu Buzios pendant les préparations des J.O. de Pékin quand Bimba m’a invité à s’entraîner avec lui. On s’est connu en 2002 lors de compétitions avec d’autres amis. J’ai tout de suite adoré cet endroit. J’y ai plein de bons souvenirs et j’y ai beaucoup appris. Je n’aurais jamais cru finir ici à cause de la crise au Vénézuela. »
Pendant ce temps-là, son frère reste à s’entrainer au Vénézuela. À l’époque, il y avait encore pléthores de vols internationaux, alors Carlos passait 3 mois à s’entraîner au Brésil puis revenait au pays. Il pouvait faire des allers-retours comme il voulait. Aujourd’hui, il est difficile de sortir du pays ainsi que de faire sortir de l’argent.
« En 2005-2006, la politique s’est emparé du sport, j’ai donc dû me faire passer par un chaviste si je voulais continuer ma carrière. »
Entre-temps, sa mère est devenue présidente de la fédération de voile vénézuélienne. « Malheureusement, la situation politique du pays à fait que nous avons coupé les ponts. Elle fait partie du gouvernement en place et moi, je suis un opposant au régime. Les gouvernements de Chavez et Maduro ont réussi à ce que les familles se dessoudent. Tout tourne autour de la politique, le sport comme la famille, comme tout le reste.
Depuis les années 2000 et l’instauration du chavisme, le sport au Vénézuela a complètement changé, en pire. Par exemple, quand t’arrives dans un club sportif, la première chose que tu vois sur la porte d’entrée est le portrait de Chavez et du Président. Il ne devrait pas avoir de politique dans le sport. Par exemple, quand on participait aux compétitions internationales, on n’avait pas assez d’argent pour faire trois repas par jour. Ou par exemple, quand on avait besoin d’un nouvel équipement, ils nous l’achetaient bien après une compétition importante alors qu’on en aurait eu besoin bien avant évidement.
Un jour, j’ai regardé dans un bulletin national le budget alloué à la planche à voile, à moi donc. Il était deux fois supérieur à ce que j’ai reçu! Où est passé l’argent ? La corruption n’a fait qu’empirer avec le chavisme. Il n’y aucune honnêteté dans les institutions. Il n’y a plus que du vol.Tout est bureaucratisé pour laisser place au clientélisme. Il n’y a plus de régularisation, ni d’organisation. C’est pour ça que le milieu sportif au Vénézuela est en déclin. «
Dimanche prochain Carlos vous racontera sa retraite sportive ainsi que la situation actuelle du Vénézuela sous l’ère chaviste.