Super Deborah ! ou comment changer le monde en commençant par son quartier – Part. III

Deborah est une femme toute en une : entrepreneuse, professeure, chercheuse en pédagogie, cuisinière de gastronomie vivante, étudiante, épouse et j’en oublie sûrement d’autres. C’est une battante et surtout une héroïne des temps modernes qui a réussi le pari, presque par hasard, de transformer un quartier laissé à l’abandon et la vie de ses habitants, à tout jamais. Elle a surtout crée une école révolutionnaire pour aider les enfants à s’en sortir à l’école et dans la vie. Impossible de résumer cette wonder woman, autant que de suivre son emploi du temps, en quelques mots. Découvrez plutôt son histoire extraordinaire en plusieurs chapitres. 

Dans l’épisode précédent, nous découvrions comment Déborah a eu l’idée de créer une école dans son quartier. Aujourd’hui elle vous explique la méthodologie qu’elle a mise en place et le fonctionnement de cette école.

Le fonctionnement de l’école

Tous les enfants du quartier peuvent s’inscrire à l’école communautaire de Déborah, qui compte actuellement une centaine d’élèves entre 3 et 15 ans. La petite école est ouverte du jeudi au vendredi, de 9h à 11h puis de 13h à 17h, selon l’emploi du temps des élèves. En effet, au Brésil, les élèves n’ont cours que le matin ou que l’après-midi. L’école Bandeirantes Ja ! couvre toutes les matières classiques comme le Portugais, les maths, les sciences et l’histoire-géo; mais aussi des ateliers artistiques proposés par les adolescents-apprentis profs, selon leurs envies et compétences. Par exemple, un jeune handicapé donne des cours de guitare, d’anciens élèves proposent un atelier théâtre pour les plus petits. Il y a également, une classe de maternelle où les enfants dessinent, apprennent l’alphabet, à écrire leur nom, tout ce qui est nécessaire à l’entrée au CP. Comme l’explique Déborah, elle veut que les enfants puissent développer au mieux leurs capacités dès le plus jeune âge.

« Tous les enfants ont un potentiel, mais l’école classique ne l’exploite pas assez. Si on les aide à s’éveiller à cet âge-là, imaginez ce dont ils seront capables plus tard. L’important, c’est de stimuler leur curiosité naturelle, parce qu’ils ont tous une soif d’apprendre. Il suffit de la canaliser pour les faire avancer. Par exemple, dans notre école, à 3 ans, ils arrivent déjà à recopier des choses aux tableaux ou à écrire leur nom. Ils sont beaucoup plus éveillés que les autres enfants de leur âge ! »

Pour l’instant, l’école se situe dans des locaux prêtés par la préfecture de Rio de Janeiro. Ils sont devenus trop petits et insalubres, alors avec l’aide de deux bénévoles françaises, Déborah a lancé une campagne de crowdfunding afin d’acheter leur propre bâtiment. La campagne a été un succès. L’argent récolté servira à poser les premières pierres de l’édifice. En plus du crowdfunding, Deborah finnace l’école en organisant des buffets pour des entreprises ou des évènements. Comme lors des J.O. où sa petite entreprise de catering a assuré les repas de la sélection colombienne. Régulièrement, elle organise également de grands repas à prix uniques, où elle invite les gens du quartier ou d’ailleurs à découvrir l’école. Et là, tout le monde mets la main à la pâte, que ce soit les élèves mais aussi sa famille et celles des enfants. Tout le monde cuisine ensemble en se partageant leurs petits secrets culinaires.

La méthode Déborah

« J’ai élaboré ma méthodologie à travers mon expérience personnelle, de ce que j’ai appris de la vie et dans les cours de formation continue. je cherche toujours à apprendre. » 

Qu’est-ce que la méthode Deborah ? Dès l’âge de 12 ans, Deborah sélectionne un groupe d’ado qui ont le profil pour devenir professeurs. Ce sont généralement de bons élèves, qui demandent à s’occuper des plus petits. Ils se voient alors confier des petites responsabilités comme préparer le goûter, accompagner les petits aux toilettes, ranger la bibliothèque, etc. Quand ils se sentent prêts et qu’ils veulent faire plus, ils deviennent « apprentis-moniteurs » et commencent alors à enseigner aux enfants de maternelle. Cette première étape les prépare à la longue formation conçue par Deborah, qu’elle définit comme un programme de développement personnel.

Tous les mercredis, Deborah forme ses moniteurs en les aidant à atteindre leurs objectifs. Ces objectifssont par exemple, organiser une sortie pédagogique, devenir professeur ou réussir ses examens scolaires. Au sein de ce cursus, elle leur demande de faire des exposés sur des personnalités inspirantes comme Nelson Mandela, Gandhi ou Martin Luther King.

Les élèves et leurs moniteurs, à l'heure du goûter ©Deborah

Les élèves et leurs moniteurs, à l’heure du goûter ©Deborah

« Je leur apprends dès le plus jeune âge que dans la vie, il faut travailler pour atteindre ses objectifs. Toute ma méthodologie est basée sur un système de points, de dates et d’étapes intermédiaires pour y arriver. Je leur explique que si tu ne te donnes pas d’échéances, tu n’arrives pas à atteindre ton but, car tu laisses trainer et tu finis par laisser tomber. Alors ensemble, on définit leurs projets puis la meilleure stratégie pour les concrétiser.« 

Par manque d’adultes dans le projet et dans un esprit d’empowerment, elle a créé une dynamique de multiplication des savoirs, où tout le monde partage ses connaissances. De ce premier groupe de moniteurs, six sont restés au sein du projet et l’aident aujourd’hui à former les nouveaux moniteurs, les autres ont continué leur petit bout de chemin à l’extérieur de l’association.

Le panneau où Deborah affiche les objectifs généraux de l'association.

Le panneau où Deborah affiche les objectifs généraux de l’association.

À partir de 14 ans, les « apprentis-moniteurs » les plus motivés, passent au statut de « moniteurs ». Ils donnent alors des cours aux élèves du primaire et suivent une formation universitaire de jeunes leaders communautaires. En parallèle, Deborah continue auprès d’eux, sa formation de développement personnel. Lors de cette formation, les jeunes organisent un séjour à la campagne. Et comme l’école repose sur le bénévolat et la débrouille, ce séjour est financé par la vente de gâteaux faits par les ados du projet.

Atelier gâteaux avec les enfants ©Deborah

Atelier gâteaux avec les enfants ©Deborah

« Je trouve que ce séjour à la campagne est une vraie coupure de leur monde, c’est un temps essentiel dans notre formation. Loin de tout, ils se rendent compte qu’ils ont aussi un vrai potentiel à l’extérieur de notre quartier. Ça me permet de mieux les connaitre et eux aussi de mieux se connaitre eux même; de se connaitre en dehors de la maison, sans portables, ni technologies. C’est important de leur faire rencontrer la nature, qu’ils se déconnectent du virtuel pour mieux se connecter avec la nature. La dernière fois, un ado s’est allongé pour observer les étoiles, il s’est aperçu que la lune avait quatre phases. Il ne l’avait jamais remarqué en 14 ans d’existence !« 

Après ces deux premières années de formation, ils peuvent passer au statut de coordinateurs. Tout en continuant une formation universitaire, en parallèle du lycée, ils prennent plus de responsabilités au sein de l’école communautaire. Ils participent aux réunions de direction, organisent des évènements pour l’école, forment les moniteurs et les aident dans leurs cours. Elle continue de les orienter dans leurs projets au sein de l’école comme à l’extérieur, explique Déborah : « je les aide à déployer leurs ailes pour qu’ils puissent mieux s’envoler. » Des 25 apprentis-moniteurs, seulement 6 sont aujourd’hui coordinateurs, le temps se charge de faire le tri parmi les plus engagés dans l’école.

« J’ai une relation de mère avec eux. Voire même plus, comme ce ne sont pas mes enfants, je me fais d’autant plus de soucis pour eux. C’est une grande responsabilité ! »

Les nouveaux horizons de Déborah

Aujourd’hui Rio, demain le monde. Depuis quelque temps, l’école reçoit des étudiants étrangers pour des échanges culturels avec les enfants. Et comme le hasard fait toujours bien les choses chez Bandeirantes Ja, tout a commencé par une rencontre fortuite avec un étudiant américain.

« Un jour, alors que les filles étaient en train de papoter dans le parc de l’université, elles aperçoivent un garçon avec un sac-à-dos en forme de tortue. Elles trouvent ça drôle et l’interpellent. Il ne parlait pas Portugais et elles ne connaissaient pas l’Anglais, ils communiquaient par gestes. Quand je les ai rejoints, j’ai trouvé ça intéressant. Je suis alors allée chercher notre prof, qui lui, parlait couramment Anglais. On a commencé à discuter de tout et de rien, il nous demande ce que faisaient des ados à la fac, on lui parle alors de notre association. Il a trouvé ça génial et a commencé à venir donner des cours d’anglais. Par la suite, il a invité d’autres étudiants étrangers à devenir bénévoles. Aujourd’hui, nous accueillons des étudiants de partout, c’est une formidable ouverture sur le monde autant pour nous que pour eux.«  Grâce à ces échanges, plusieurs projets ont vu le jour, comme de possibles voyages en France ou aux Etats-Unis.

Les enfants et Marine, une bénévole française qui a aidé au crowdfunding ©Deborah

Les enfants et Marine, une bénévole française, qui a lancé le crowdfunding ©Deborah

Quant à Déborah, elle rêve de faire voyager sa méthodologie. Avec l’aide d’une incubatrice de projets à vocations sociales qui l’accompagne depuis le début, Déborah est en train de formaliser sa méthode afin de la faire breveter. Elle théorise sa pédagogie pour en faire profiter d’autres communautés à travers le monde. Ses principes fondateurs ? L’empowerment des jeunes, la multiplication des savoirs et l’échange culturel.

« J’ai déjà tout en tête, en ce moment je suis en train de tout coucher par écrit. Cela fait quelques années que j’applique cette formation auprès de mes jeunes et on en récolte déjà les fruits. Elle est assez simple et peut être mise en place rapidement ailleurs. Mon rêve, qui est  devenu réalité ici, j’aimerais pouvoir le partager avec d’autres communautés qui affrontent les mêmes difficultés que nous. Notamment, en Afrique où il y a une forte demande au niveau éducatif. J’espère un jour pouvoir aller en Angola parce qu’ils ont une culture proche de la nôtre et que leurs besoins en éducation et en infrastructures sont encore plus criants que les nôtres. »

Je quitte Déborah et ses jeunes pleins d’avenir et de rêves avec leur même envie d’embrasser le monde. À l’occasion, passez une journée auprès d’eux, ils vous accueilleront à bras ouverts, vous en repartirez remplis d’énergie positive.


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