Le fabuleux destin de Joseph – Part II

Le pote de ce dimanche est un pote un peu particulier. C’est un monsieur de 92 ans né en Italie, ancien résistant et marin au long court, qui est venu tenter l’aventure brésilienne dans les années 50. Il se repose aujourd’hui dans une maison de retraite dans la banlieue de Rio de Janeiro. Il a bien voulu partager ses souvenirs et ses aventures peu communes avec vous. Vous découvrirez ses aventures au fil de ses anecdotes, sur plusieurs dimanches.

Dimanche dernier vous avez pu faire connaissance avec Joseph à travers ses années de jeunesses. Aujourd’hui notre pote du dimanche vous raconte ses années de résistances pendant la seconde guerre mondiale, à Salon de Provence. 


Ce portrait fait partie d’une série autour de la vie de Joseph, retrouvez les autres épisodes :
1 – Les années de jeunesse 2- Les années dans la résistance 3- Les années brésiliennes 4- Les dernières années
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Joseph sur la Canebière à Marseille au début de la guerre. (Cliquez sur la photo pour l’agrandir)

« Quand la guerre a éclaté et que les gendarmes ont commencé à emmener les jeunes de mon âge, j’ai décidé de partir me réfugier à Salon-de-Provence, j’avais tellement peur qu’ils viennent me chercher. Là-bas, j’avais une tante qui tenait un restaurant-dancing. J’ai travaillé un peu avec elle, enfin, je passais surtout mon temps à danser avec les filles. Puis, j’ai commencé à travailler dans le bâtiment. Pendant la guerre, tout Salon-de-Provence travaillait de près ou de loin pour l’école de l’armée de l’air et donc par extension, pour les Allemands. L’entreprise qui m’avait embauché restaurait les bâtiments réquisitionnés par les Allemands. Ce qui m’a aidé plus tard quand je suis entré dans la Résistance. Mais ça, je vous le raconterai un peu plus tard.

Mes premières années de guerre se sont donc passées entre le dancing, le Rugby et le boulot ; quand je voyais les jeunes tomber autour de moi, je réalisais quotidiennement la chance folle d’être toujours en vie. Je tenais à profiter de la vie tant que je le pouvais.


L’ENTRÉE EN RÉSISTANCE


Joseph pendant la guerre, à Salon de Provence.

Joseph pendant la guerre, à Salon de Provence.

Dès que j’ai su de leurs existences, j’ai eu envie d’entrer chez les Résistants. J’étais tellement marron de ne pas pouvoir lutter à ma manière contre la barbarie allemande. Et puis un soir, alors que je buvais des coups dans un bar avec des collègues, est arrivé un Parigot. Un sale type. Il conduisait un camion de pompier pour les Allemands, c’est dire. Il traînait souvent dans les bars et quand il buvait, il racontait de ces conneries, et tant il buvait tant ses conneries grossissaient. Il disait qu’il voulait que les Allemands gagnent, que c’était un peuple bon, que les Américains ne valaient rien, etc.

Ce soir-là, j’ai commencé à lui répondre. Je lui ai dit que c’était un pourri qui mangeait à tous les râteliers et que des types comme lui fallait les exterminer et les Allemands avec. On a alors commencé à échanger des mots et le ton est vite monté, jusqu’à arriver à la bagarre. Tous les gens du bar s’en sont mêlé et ils ont fini par nous séparer. Je suis revenu au bar pour finir mon verre et je suis parti.

À la sortie du bar, je me suis fait rattraper par un jeune qui avait assisté à la bagarre. Je le connaissais bien vu que c’était le gardien de but de l’équipe de foot de Salon. Il me dit qu’il a bien aimé ce que j’avais dit au sale Parigot et qu’il trouvait que si tout le monde pensait comme moi, ce serait bien. Puis il m’a demandé si je pensais vraiment tout ce que j’avais dit au bar. Je lui ai alors répondu que je le pensais profondément et que je cherchais d’ailleurs à entrer en Résistance. Alors il m’a révélé qu’il était lui-même résistant et que je pouvais venir à un de leurs entraînements la semaine d’après.

« J’avais tellement hâte de participer à ma façon à la lutte contre les Allemands et les collabos. Même si on a pas mené des actions de grandes envergures, on a quand même fait notre part contre les salauds. »

Les résistants de Salon s’entraînaient dans un garage censé servir aux travaux agricoles. Quand je suis arrivé là-bas, j’ai reconnu des collègues de rugby, je ne savais pas qu’ils étaient résistants ! La polémique du jour était centrée sur le fait qu’on voulait faire un seul groupe, mais malheureusement tout le monde voulait commander. On n’était pas nombreux, à peine une douzaine, mais il y avait une guerre d’ego, comme souvent dans n’importe quel groupe.

Alors on a fini par se scinder en deux avec d’un côté les communards et de l’autre ceux de droite. Quand j’ai vu ça, je me suis rangé avec les communistes, je ne pouvais décemment pas être avec les réacs. Je ne peux pas sentir les mecs de droite. J’ai jamais été un communiste convaincu, je ne me suis jamais vraiment intéressé à la politique mais j’ai toujours eu le coeur à gauche. On avait donc formé deux groupes qui ne pouvaient plus se voir en peinture. Au début, on a cherché à s’entendre malgré tout, mais ça n’a pas marché.


L’ÉXECUTION D’UN NAZI: DU SANG SUR LES MAINS


Joseph et ses "collègues" sur la Canebière à Marseille, en janvier 1943.

Joseph et ses « collègues » sur la Canebière à Marseille, en janvier 1943.

On recevait nos ordres des résistants marseillais. On faisait des petits sabotages, on arrêtait les voitures allemandes, des trucs comme ça. Par exemple, on arrachait les fils de communications allemands ou on bricolait leurs avions de repérages pour qu’ils tombent en panne. Une fois, on a fait sauter un train de munitions, mais malheureusement, on a blessé aucun Allemand, ils avaient réussi à s’échapper. Une autre fois, comme je travaillais sur un bâtiment réquisitionné par les officiers allemands, on m’avait demandé de fouiller dans la chambre de leur chef pour lui voler son arme. Mais il est arrivé avant que je trouve quoique ce soit. J’ai réussi à m’échapper par la fenêtre en m’accrochant à une corde du chantier. Je m’en suis sorti avec des brûlures et une balle tiré par l’Allemand.

Aussi, tous les soirs, on faisait un barrage sur la route qui menait à Salon. On accrochait des lampions aux platanes pour pas se faire repérer puis on se cachait dans le maquis. Quand une voiture allemande passait, on l’arrêtait.

Et puis un jour, les services secrets marseillais nous avaient signalé la présence d’un S.S. allemand dans les parages, il avait envoyé des milliers de jeunes dans les camps. Un soir, on arrête une voiture avec à son bord un couple et un enfant. On vérifie les papiers, ils étaient français, le type parlaient assez bien français d’ailleurs. Mais moi, j’avais des doutes. Alors je dis à mes camarades :  » Nan mais regardez, le type il est bien blond, il a les yeux bleus, il a une bonne tête d’Allemand. Il a dû se faire des papiers français. Ce doit être le type qu’on cherche » Et c’était le cas. On l’a alors embarqué et torturé pendant deux jours pour le faire parler. C’était un Corse, assez cruel qui s’en occupait. Une fois qu’il avait à moitié avoué, on l’a emmené sur une colline pour l’exécuter. Le type est mort courageusement. Il ne s’est pas débattu, il a quand même assumé ses actes. Il pleurait en disant qu’il était innocent, qu’il n’avait tué personne, mais bon, les papiers de Marseille prouvaient le contraire.

On était une demi-douzaine dans la voiture, on l’a emmené à la tombée de la nuit sur une colline. Avec nous, il y avait un Juif de passage, il avait tenu à venir car toute sa famille avait été exterminée par les Allemands, il voulait se venger quoi. Une fois arrivé sur la colline, je lui ai enlevé ses menottes et je lui ai mis un torchon autour des yeux. Ensuite, je lui demandé de marcher quelques pas et on s’est tous alignés en rang d’oignons. Le Juif avait tenu à tirer le premier. Je lui ai alors répondu d’accord, mais seulement la première balle, qu’il me laisse le tuer. Je ne voulais pas tirer sur un mort.

Un des nôtres donne le départ : « en joug… Feu !«  Le jeune juif tire. Mais la balle a chiqué, elle n’est pas entrée dans le type. Alors bon, j’ai commencé à tirer. Il est tombé sur le dos. Une fois l’Allemand mort, les autres voulaient partir, ils avaient peur que le bruit des détonations n’alerte les maisons voisines. Je leur ai dit : « tirez-vous aussi pour recevoir la prime.«  Ils étaient blancs comme neige.

Joseph attablé avec son ami Lyonnais en terrasse d'un bar de Salon de Provence, pendant la guerre.

Joseph attablé avec son ami Lyonnais en terrasse d’un bar de Salon de Provence, pendant la guerre.

Écoutez Joseph vous raconter les détails de cette histoire ainsi que ses conséquences :  


LA LIBÉRATION DE SALON DE PROVENCE


Quand les Américains ont commencé à libérer la Provence, les activités se sont ralenties. Mais je ne sais ni pourquoi, ni qui m’en voulait, on a tenté de me tuer. Au centre de Salon-de-Provence il y a un clocher. Et pas loin de ce clocher, il y avait un urinoir public qui était protégé par deux plaques de tôle. Je m’étais arrêté là pour l’utiliser. Les plaques n’étaient pas grandes donc j’avais la tête qui dépassait. Et pendant que je faisais mon affaire, tout à coup, j’entends une balle siffler à mon oreille. Elle a touché le mur en face de moi en faisant exploser une brique. Je suis sorti en courant, je n’ai même pas pris le temps de remettre mon pantalon. Avec du recul, je pense que c’était par vengeance. Drôle d’histoire.

Je me souviens bien de la libération de Salon-de-Provence par les Américains. Ils sont arrivés un après-midi. Ce jour-là, on enterrait un ami résistant. Une mort vraiment bête. Quelques jours avant, on avait eu un accrochage avec des Allemands. Il a été tué d’une balle dans le pied, il est mort d’avoir perdu trop de sang. C’est tellement ironique. Je ne sais pas moi, quand on tire sur un type, on tire à hauteur de poitrine. Bon, ce fut vraiment idiot. On n’était pas nombreux à l’enterrement. Comme le croque-mort avait trop de boulot, la morgue était pleine de cadavres qui s’entassaient partout, on n’avait pas de voiture. Alors avec les collègues résistants, on a transporté son cercueil de Salon au cimetière, ça faisait une sacrée trotte. Sur le chemin, on a croisé les tanks américains, les G.I. nous ont photographiés, je me demande bien où sont passées les photos d’ailleurs.

Le dimanche après la Libération, des gens avaient tondu les femmes qui avaient couché avec les Allemands. Ils les avaient fait monter sur le kiosque à musique de la place principale. Il y avait tout le monde sur la place, les Américains, les troupes coloniales, les résistants, des soldats français et des badauds.

Alors qu’on était en train de tondre une des femmes, un fada a alors crié : « Bien fait pour elle, cette salope n’avait pas qu’à coucher avec les Bosh. »  Je lui ai répondu : « Et alors? C’est pas ton problème!  »  De là il a commencé à cogner sur une des tondues. Mon sang n’a fait qu’un tour et on s’est bagarré, puis tout le monde s’en est mêlé. »

Retrouvez la suite des aventures de Joseph dimanche prochain. Vous découvrirez comment il a tout quitté pour tenter l’aventure au Brésil puis sur les bateaux, autour du monde.

> En attendant, retrouvez le premier épisode de la série : « Le fabuleux destin de Joseph ». 

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