Super Deborah ! ou comment changer le monde en commençant par son quartier – Part. II
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Post by Caroline Martins - Lefer
Deborah est une femme toute en une : entrepreneuse, professeure, chercheuse en pédagogie, cuisinière de gastronomie vivante, étudiante, épouse et j’en oublie sûrement d’autres. C’est une battante et surtout une héroïne des temps modernes qui a réussi le pari, presque par hasard, de transformer un quartier laissé à l’abandon et la vie de ses habitants, à tout jamais. Impossible de résumer cette wonder woman, autant que de suivre son emploi du temps. Découvrez plutôt son histoire extraordinaire en plusieurs chapitres.
Après s’être trouvé embarquée dans un grand projet de revitalisation de son quartier, Conjunto habitacional Bandeirantes (l’ensemble habitationnel Bandeirantes) et d’avoir aidé des centaines de ses voisins à trouver un travail, Deborah a voulu aider les jeunes. Un stage dans le collège du coin, lui a ouvert les yeux sur les conditions actuelles du système scolaire public. Elle pressentait qu’il fallait faire quelque chose pour pallier ce manque auprès des jeunes, mais ne savait pas encore comment s’y prendre.
Un jour, une fillette de 8 ans, lui suggère de faire une petite école au sein de son association Bandeirantes Ja ! Elle lui répond que cette idée lui trotte dans la tête et lui demande ce qu’elle en pense. La fillette lui dit que ce serait super et que d’ailleurs, elle a elle même, « une petite école » dans le terrain vague voisin. Deborah était tellement intriguée qu’une gamine de son âge joue à la maîtresse « pour de vrai » et durant son temps libre, qu’elle lui a demandé si elle pouvait venir voir sa « petite école ».
« Je me souviens comme si c’était hier. Quand je lui ai demandé si je pouvais venir visiter son « école » elle a été ravie. Elle m’avait bien précisé que ce n’était qu’un jeu, alors je lui ai répondu que je voulais bien venir jouer avec eux. Quand je suis arrivée dans le terrain vague, j’ai vu plein de mômes assis sur des briques. Les tables étaient aussi constituées de briques montées les unes sur les autres. Un ancien panneau en bois servait de tableau, sur lequel ils écrivaient avec des morceaux de charbons. Elle m’a alors invité à m’asseoir dans le fauteuil, qui était en réalité une grosse pierre. Tout était très ludique. Elle enseignait l’alphabet à des plus petits, leur racontait des histoires, etc. Je lui ai alors demandé : « si t’avais un endroit avec de vraies tables et un vrai tableau, tu viendrais donner des cours? » Elle était très enthousiaste et m’a répondu, bien sûr ! C’était décidé, à partir de ce moment là, j’ai tout fait pour que cela se concrétise.«
Dans sa boutique qui servait de QG pour son association de quartier, il y avait une petite bibliothèque. Là, Beatriz, la môme qui jouait à la maitresse, a commencé à donner des cours à ses copains, deux fois par semaine après l’école. Les jalons de la future école Bandeirantes Ja ! ont commencé à être posés là. Par le dynamisme fou de Deborah et l’envie de partager de la petite Beatriz.
Cette petite fille est aujourd’hui une des coordinatrices pédagogiques de l’école associative. Elle a désormais 16 ans et des projets plein la tête. Elle a commencé à organiser, après les cours, des ateliers d’empowerment pour les filles et les femmes de son quartier. Comme la plupart des jeunes du projet, elle se détache des adolescentes de son âge par une incroyable maturité, dans le regard qu’ils portent sur le monde mais aussi par le sens des responsabilités.
De là, Deborah a commencé à chercher des sponsors. Encore aujourd’hui, si elle a conclu des partenariats avec des institutions , elle n’as toujours pas de financements réguliers.
« On est tous bénévoles, on se débrouille avec ce que l’on a et ce que l’on nous donne. L’école du quartier nous a donné des tables et des chaises, une institutions nous a donné des tableaux, des amis ont fait don de cahiers, de livres et autres matériels scolaires. À ce moment-là, nous avions un espace, du matériel et des enfants curieux, mais pas de volontaires pour donner les cours. Les adultes ont leurs vies, un boulot, des familles à charge, ils ne peuvent pas rester longtemps au sein d’un projet comme le nôtre. Au début, c’est moi qui faisait les cours aux enfants et aux ados et ce, en plus du boulot et de mes cours à la fac. Rapidement, je me suis dit que je ne pouvais pas tout gérer toute seule. Chaque jour, de nouveaux enfants arrivaient avec une soif de connaissances incroyable. Alors j’ai eu l’idée de former des adolescents à devenir professeurs. Mais je ne savais pas encore comment faire. »
Deborah a alors commencé à former 12 adolescents. Elle leur donnait des cours de développement personnel, d’éthique, de citoyenneté, de prise de parole en public, d’éducation sexuelle, de leadership, de formation d’équipes, etc, tout ce qui les préparerait à devenir des citoyens et des professeurs. Elle essayait de leur faire passer le maximum de son savoir, de tout ce qu’elle avait pris lors de sa vie professionnelle et des formations professionnelles qu’elles suivaient. Mais il lui manquait des connaissances théoriques. Comment pouvait-elle les former à être professeur, si elle ne l’était pas elle-même ?
C’est alors qu’un signe du destin va lui apporter une solution. Elle apprend qu’une des plus prestigieuses universités brésiliennes, ouvrait une formation pour devenir « leader de communauté ». Elle s’inscrit et ajoute ses 12 ados-apprentis-profs, sans préciser leurs jeunes âges. Alea jacta es, se dit-elle. Et bingo ! Un mois plus tard, elle se retrouve dans une salle de classe de la fameuse université PUC avec ses mômes.
« Le jour J, j’étais très anxieuse, je me demandais si mon coup de bluff allait marcher, j’avais tellement envie qu’ils aillent à l’université. Le plus jeune, Gabriel, n’avait que 13 ans, les filles avaient entre 14 et 15 ans. Quand on s’est installé dans la salle de classe, tout le monde nous a regardés avec de grands yeux ronds. Dans la salle, il n’y avait que des adultes en master ou en doctorat d’éducation. Quand le prof est arrivé, il m’a demandé : « ce sont eux vos professeurs ? » Il était très surpris mais il ne nous a pas renvoyés chez nous, comme je le craignais. Bien au contraire, il m’a demandé de lui expliquer ma démarche. Je suis alors montée sur l’estrade et j’ai raconté ce qu’on faisait, que mes profs en herbe avaient besoin de techniques de pédagogie, car pour l’instant, ils enseignaient comme ils pouvaient.
Le professeur a trouvé ça incroyable et nous a beaucoup soutenus. Il a même adapté le programme et a mis en place une plateforme en ligne rien que pour notre association. Aujourd’hui, nous en sommes à notre deuxième promotion d’élève au sein de ce programme. En plus des cours de pédagogie, ils suivent également des cours universitaires. J’en ai la chair de poule rien que d’en parler. Je n’aurais pas pu rêver mieux. Je ne pensais pas que cela fut possible, j’envoyais juste des ondes positives pour trouver une solution et quand je vois le résultat... [ Elle s’arrête de parler car les larmes lui montent aux yeux.] C’est difficile de garder un jeune focalisé sur un même objectif pendant 4-5 ans, mais ce n’est pas impossible.«
Aujourd’hui grâce à la méthodologie de Déborah (que vous découvrirez plus en détails dans le prochain et dernier épisode de cette trilogie) et cette formation de la PUC, 24 jeunes ont obtenu un diplôme universitaire avant leur majorité. Les jeunes profs les plus motivés ont obtenu au fil des années plus de responsabilités au sein du projet et peuvent maintenant aider Deborah a gérer les 150 élèves de son école. Ils l’aident également à former les nouveaux jeunes pédagogues, qui ensuite donnent des cours aux plus petits. La multiplication des savoirs est à la base même de la méthodologie de Deborah, de l’éduc pop’ à la sauce brésilienne quoi.
Quand vous rencontrez Deborah, vous ne pouvez qu’être hâpé par son énergie, son optimisme et sa force de vie incroyable. Elle est passionnée par tout ce qu’elle fait, que ce soit son travail auprès des enfants, son métier d’entrepreneuse, son amour de la gastronomie, sa soif intarissable de connaissances et son incessante curiosité. On ne peut s’empêcher de lui demander son secret. Et ce secret, il est typiquement brésilien.
« Mon secret ? L’énergie positive. La pensée positive, c’est puissant. Quand vous pensez très fort à quelque chose, cela se réalise, tant dans le négatif que dans le positif. Vous attirez les choses selon l’énergie que vous dégagez. Alors moi, j’élimine toutes les ondes négatives pour me concentrer sur les choses positives. Je me réveille en visualisant mes prochains objectifs se réaliser et je reste positive pour le reste de la journée. Je n’envisage pas l’échec, je me débarrasse de la négativité pour me concentrer sur l’optimisme. C’est une loi d’attraction, si vous dégagez de bonnes ondes, alors de bonnes choses arrivent, et inversement. »