Everton est le doyen de notre bande de potes du dimanche qui ont crée le Passinho. Danseur de la première heure, il a été le précurseur avec Baianinho, son frère aujourd’hui disparu, de cette danse qui a révolutionné le Jacarezinho, sa favela du nord de Rio de Janeiro. Avec ses amis, ils ont apporté une danse, une manière de vivre, à la culture Funk, ce Hip-Hop aux beats tropicaux. Du haut de ses 32 ans, ce père de famille est fier d’aider les jeunes de sa communauté à trouver sa voix dans la société. Il nous offre aujourd’hui, sa leçon de philosophie funkeira. Une carte postale ensoleillée de la jeunesse des favelas, à l’ombre de Rio de Janeiro.
Ce portrait fait partie d’une trilogie sur le Passinho, découvrez les autres cartes postales :
> Passinho – Danser pour exister : tout sur la genèse de la danse du Funk.
À première vue, Everton est un grand gamin avec un air timide, un regard curieux et une voix calme. Il dénote parmi cette bande d’amis de la première heure. Alors que les autres s’agitent et jouent des coudes, lui, impassible, reste en retrait, en observateur. Il leur demande de s’écouter quand ils parlent tous à la fois. Quand les autres s’agitent dans tous les sens pour faire une démo de Passinho, lui, attend qu’ils aient tous fini pour entrer en piste. Il pose ses pas, tête baissée, dans un flow précis. Everton incarne le grand frère pour ses potes, sa famille, les gamins de son quartier. Il incarne une sorte de maître Yoda du Funk, un philosophe de sa danse.
Il a grandi ici et a été formé à l’école de la vie, l’école de la sueur et des petites galères et grands rêves, à la faculté de la danse, leur danse, de ses petits pas qui l’ont fait avancer sur le chemin de la vie.
« Ado, je faisais tout pour aller au baile (fêtes populaires où l’on danse le Funk). Je mentais à mes parents en leur cachant où j’allais, des trucs de gamins quoi. J’étais juste obsédé par la danse. J’en ai passé des nuits blanches au Stuba, le fameux baile du Jacarezinho. Souvent, j’arrivais à 1h du mat’ pour n’en ressortir qu’à midi le lendemain. C’est là où j’ai rencontré ceux qui sont mes amis aujourd’hui encore et où ont commencé ses petits pas qui sont devenus la danse d’aujourd’hui.
À la fin des années 90, mon frère, Baianinho et moi, on traînait souvent à la maison. On papotait et on s’amusait à inventer des pas de danse. Tout était parti d’une blague. Il y avait un type qui venait au baile et qui buvait beaucoup. Il ne dansait pas, il se contentait de se balancer mollement et de passer entre les gens pour aller au bar. On a commencé à l’imiter pour se marrer. Et puis, les gens ont trouvé ça cool et ont commencé à nous imiter. Et de fil en aiguille, c’était devenu la danse à la mode dans toutes les favelas de Rio.
Donc, au tout début, ça a juste commencé entre nous. On s’amusait à inventer des mouvements dans notre coin où dans les fêtes. Et rapidement, nous sommes devenus connus dans notre comunidade. Quand je passais dans la rue, des parents et des gamins m’arrêtaient pour que je leur fasse une démo. Encore maintenant, je suis ému de voir les yeux des gamins briller quand ils me regardent danser.
Parfois dans les bailes, y a des bouts de choux qui me demandent de danser pour eux. Ils essaient de m’imiter et ça les rend dingues! Je suis toujours ému de rendre les enfants aussi heureux avec quelque chose d’aussi simple pour moi. »
La danse, c’est avant tout un moyen de communication, tu fais passer des messages grâce à ton corps. C’est puissant. C’est comme écrire une chanson corporelle. Quand tu danses, je vois ton sourire, je perçois ta joie de vivre, je comprends ton humeur. Et ça me donne envie d’en savoir plus parce que tu partages de la joie. C’est hyper important. Chacun a ses soucis, mais dans la danse, j’ai appris à mettre les miens de côté pour pouvoir avancer.
Et ce qui est encore plus puissant est le fait de pouvoir faire une différence. Parce que tant que ces gamins sont là à danser, ils ne sont pas en train de vendre de la drogue. De nos jours, il y a des gamins qui commencent à trafiquer dès l’âge de 10 ans. Alors, moi, tout ce que je peux faire, c’est de les garder en dansant. Je leur donne toute mon attention. C’est tout ce qu’ils demandent en fait, qu’on s’occupe d’eux. Et je me dis que tant que je leur porte mon attention, le temps d’une danse, je suis en train de sauver une vie.
Ça fait partie des choses que j’ai appris avec la danse. C’est hyper important, surtout quand tu vis dans une favela. Ici, il faut savoir vivre dans une favela. C’est particulier. Chacun apprend à y vivre et la danse est une bonne école. Ça a été la mienne en tout cas. J‘ai pas eu de père. Alors comme on dit, ce que t’apprends pas à la maison, tu l’apprends dans la rue.
« Et nous, on l’a appris dans la rue. Les gens nous jugent beaucoup là-dessus. Surtout quand t’as un bondinho, (une petite bande). Il suffit qu’on soit plus de 4-5 gamins pour que les gens nous stigmatisent comme étant une bande de vagabonds, de vauriens. Mais c‘est pas parce que t’apprend la vie dans la rue, que t’es forcément mal éduqué. C’est juste moins facile de faire les bons choix.
La danse te permet de rencontrer des gens, de se faire un réseau, ça t’occupe quoi. Par exemple, t’es à la maison sans rien faire, puis on t’appelle pour danser dans une fête. Hop, t’y vas, tu t’amuses, tu fais plaisir aux gens, tu rends ta famille fière, tu montres ce que tu sais faire. Il y a rien de mieux.
Y en a beaucoup qui disent que c‘est pas un vrai job, que c’est facile. Ils me disent : « tu parles, tu passes ta journée à danser. Va trouver un vrai job au lieu de glander » Mais c‘est pas parce que tu fais de ta passion ton métier que ce n’est pas un job. Bien au contraire. On a galéré avant d’en arriver là. Souvent on avait à peine 3 reais pour payer le bus. Alors on se débrouillait, on se prêtait l’argent et c’est là que tu vois qui sont vraiment tes potes.
Je ne vais pas mentir, il arrive un moment où à un certain âge, tu te dis que c’est plus pour toi. Mais quand tu vois tes potes, ceux qui ont commencé avec toi, s’en sortir, se faire un nom, ça te rend super fier d’eux.«
« Moi, je suis resté ici. Je donne des cours de Passinho aux gamins. C’est une manière pour moi d’aider la communauté avec ce que je sais faire. La danse est quelque chose de super positif. Il n’y a que du bon, là-dedans. C’est créatif, c’est sportif et ça occupe les jeunes. Ils en ont besoin parce que quand ils s’ennuient, qu’ils n’ont pas de but, ils se retrouvent vite à faire des bêtises.
Je suis super heureux de voir les gamins en cours. Ils s’amusent, ils sont contents, ils ont un putain de smile jusqu’aux oreilles. Après quand ils rentrent à la maison, ils sont fiers de montrer à leurs parents ce qu’ils ont appris. Ça crée du lien dans la famille.
Je croise souvent des pères dans la rue qui viennent me voir en me disant : « Un grand merci pour ce que tu fais pour mon gamin.« Et ça c‘est la plus belle des récompenses. Rien que ça, j’ai gagné ma journée !
À travers la danse, j’essaie de transmettre aux jeunes les valeurs que j’ai apprises grâce à cette discipline. Comme le respect pour les ainés, car ce sont eux qui te guident dans ton apprentissage de la vie. À ne pas juger les autres trop vite. On m’a tellement pris pour un bon à rien que ça m’a forcé à montrer le meilleur de moi-même, leur prouver qu’ils avaient tord.
Ces valeurs sont importantes. Certains pensent que la danse, c’est facile, qu’il suffit de bouger son boule et voilà. Alors que c’est bien le contraire. Il faut travailler, avoir de la volonté, respecter les autres, prendre ses responsabilités. Si c’était si facile, n’importe qui deviendrait millionnaire en faisant 3 pas de danse. »
« Pour en arriver à cette maturité, il m’a fallu batailler longtemps. On me demandait tout le temps ce que j’allais faire plus tard. « Ok, là tu te trémousses, mais après?« Et je répondais toujours, mon futur c‘est la danse.
Je n’ai jamais envisagé autre chose parce que je ne pourrais pas vivre autrement. Je ne conçois pas de faire quelque chose qui ne me plaît pas profondément. J’ai besoin de me consacrer entièrement à quelque chose qui me donne envie de me lever le matin. Évidement, après la réalité fait que t’as besoin de manger. Il faut bien un job alimentaire. Mais en même temps, c‘est pas la peine de se tuer dans un job qui ne t’apporte rien en dehors de ton salaire. C’est utile mais pas nécessaire. Je pense que la meilleure chose que tu dois faire est d’être satisfait de ce que tu fais.
Quand j’étais jeune, je me consacrais exclusivement à la danse. Aujourd’hui, évidemment les choses ont changé. J’ai une femme et des enfants, j’ai donc dû trouver un travail plus stable. Je travaille à l’usine de verre d’à côté. Je n’ai plus le temps que j’avais avant. Mais, ça ne m’empêche pas de rester connecté à la danse. Je donne des cours 3 fois par semaine aux gamins, je ne vais plus qu’une fois au baile, alors qu’avant j’y allais tous les jours.
Je dois rester connecté parce que les choses évoluent vite. Quand je passe une semaine sans y aller, je loupe des nouveautés. Comme c’est une danse hyper évolutive, où chacun a son style, il y a toujours des nouveaux pas desquels s’inspirer. Et puis, je reste en contact avec les jeunes, ils me rapportent tout ce qui se passe, non seulement au niveau du Funk, mais aussi au niveau de leurs vies. J’essaie de les guider comme je peux. Mine de rien, c’est devenu une famille.
« Ma plus grande fierté est quand on m’arrête dans la communauté en me disant « Ha branquinho, le danseur! » Des gens que je ne connais pas et qui me remercient parce que leurs enfants, leurs neveux, leur voisin ou quoi, apprennent la danse avec moi, ou parce qu’ils m’ont déjà vu danser. Ca me rend heureux. Je rentre chez moi, satisfait d’aider à rendre les gens heureux. De faire ma part de bien pour la communauté. Je trouve que c’est hyper important d’inciter les gamins à s’investir dans une activité avec laquelle ils peuvent marcher la tête haute, qui puisse les rendre fiers. »
« Je vois aussi les jeunes qui tournent mal, qui se dirigent sur l’autre chemin. Après je ne juge personne. C’est mon grand principe. J’ai tellement été jugé que j’essaie autant que possible de ne pas le faire aux autres.
« C’est pareil pour les potes, ce n’est pas parce qu’un pote a mal tourné que je vais arrêter de lui parler. Je l’aime bien pour ce qu’il est, j’essaie de ne pas juger ce qu’il fait. Et puis, ce n’est pas parce qu’il fait des mauvaises choses qu’il est forcément quelqu’un de foncièrement mauvais. C’est plus compliqué que ça. C’est aussi la danse qui m’a appris ça. Parce que dans la danse, quand quelqu’un se trompe, tu ne te moques pas de lui, t’essaie de l’aider. Ça m’inspire au quotidien.«
« Je sais que je suis à ma place ici, auprès des jeunes. Je suis content d’où je suis arrivé aujourd’hui, ce que j’ai conquis. C’est pas grand chose, mais c’est tout ce dont j’ai besoin. Et j’en suis fier. Alors c’est le principal. »
Prenez une leçon de Passinho avec Everton et ses amis des Imperadores da dança, à l’occasion d’un des cours organisés pour les jeunes de la comunidade.
Ce portrait fait partie d’une trilogie sur le Passinho, découvrez les autres cartes postales :
> Passinho – Danser pour exister : tout sur la genèse de la danse du Funk.