Bruno – Bien vivre?  C’est se jeter dans la mer

Le pote de ce dimanche est Bruno un cameraman de 29 ans, installé depuis quelques années à Rio, ce Nordestin a pas mal bourlingué avant d’atterrir presque par hasard dans la “cidade maravilhosa”. Son parcours est celui d’un garçon rêveur qui à peine sorti des études s’est retrouvé embarqué sur les routes presque par hasard, pour trouver au bout du chemin l’homme qu’il veut être. Une chose est sûre, cet utopiste à toutes épreuves garde l’espoir qu’un jour le Brésil sera vraiment “Ordre et progrès” comme le rappelle son drapeau.


« Je viens d’une famille plutôt modeste de Belem, capitale de l’État du Pará, dans le Nordeste du Brésil. Mes parents ont toujours travaillé en famille. Je peux dire que je suis un garçon de “bonne famille”, dans le sens où j’ai reçu de bonnes valeurs, un socle solide, essentiel, qui me guident sur le chemin de l’âge adulte. C’est une chance, car je connais tellement d’enfants qui grandissent comme des herbes folles, “à l’air libre” comme on dit ici et qui finissent mal. Mes parents ne m’ont pas abreuvé de discours moralisateurs ou d’interdits, mais ils m’ont inculqué l’essentiel, je pense, pour savoir bien vivre. Ce qui passe d’abord par garder l’esprit ouvert, ne pas juger trop vite, avec eux, je pouvais discuter de tout, rien n’était tabou. Et puis le goût du voyage aussi, chose qu’ils n’ont jamais pu faire eux-mêmes.

Quant aux valeurs purement morales ils m’ont toujours dit: “Fils, tes principaux bagages dans la vie ce sont l’honnêteté, le goût de l’effort, et l’optimisme; avec eux tu iras où tu veux !”

Mes parents ont toujours travaillé dur pour m’offrir ce qu’ils n’ont pas pu avoir eux-mêmes. Ce qui passe principalement par la possibilité de faire des études. Je suis allé dans de bonnes écoles privées, ce qui est incontournable au Brésil, vu l’état de l’enseignement dans le public. Des conditions qui m’ont permis d’aller á la fac et d’obtenir un diplôme, ce qui n’est pas encore le cas de tout le monde malheureusement. Je suis très reconnaissant envers mes parents d’avoir pu m’offrir ces conditions d’études, c’est une chance. Mais ça fait pas tout, si j’ai réussi, c’est aussi parce que j’ai su saisir cette chance. Par exemple, mon frère a bénéficié des mêmes opportunités, mais il n’en as pas profité, il a arrêté ses études en cours de route. C’est ce qui me fait croire qu’il n’y a pas de déterminisme, ni de fatalité, je crois vraiment que quand on veut, on peut, il n’y a pas d’excuses. Certes, quand tu es né dans un milieu défavorisé, difficile, les choix offerts sont restreints, mais cela ne reste toujours pas une excuse. Cest pas parce que tu as eu une enfance difficile que tu dois te révolter contre le reste du monde et sortir, faire n’importe quoi. Non, c’est plus dur certes, t’as besoin d’un peu d’aide d’accord, mais tu dois justement, vu ta condition, aller au combat, celui de ta propre vie. C’est peut-être un peu dur à entendre, mais ça fait partie aussi de la mentalité brésilienne.

ALLER VOIR AILLEURS SI J'Y SUIS

 

J’ai terminé mes études de communication publicitaire en décembre 2007. Une fois mon diplôme en poche, je pensais chercher du travail dans ma branche, rester dans le coin. Mais avant je voulais m’octroyer des petites vacances pour aller á Universo Paralelo. C’est un festival d’électro alternative sur une plage semi-déserte de Bahia. J’avais toujours rêvé d’y aller. Là-bas, j’ai vécu des émotions très fortes, je m’y suis en quelque sorte trouvé. J’ai toujours été quelqu’un d’assez spirituel avec une grande attirance pour tout ce qui est psychédélique, tant pour son côté voyageant qu’esthétique. Là-bas j’ai rencontré des gens, une manière de vivre et de penser différentes, auxquelles je me sentais appartenir depuis toujours, sans avoir jamais les partager avant. Ce fut une semaine en dehors de tout, un autre monde fait de partage et d’art.

Puis quand est venu le temps de rentrer, mes amis et moi n’avons plus un centime en poche. Comme on savait un peu jongler, on s’est dit qu’on pourrait se mettre sur une place publique et gagner de quoi se payer le billet retour. Ça a plutôt bien marché. Puis une fois la somme récoltée, on s’est dit qu’avec cet argent, on pourrait bien en profiter pour prolonger les vacances jusqu’à Salvador. Alors on y est allé.

Une fois là-bas on a continué á jongler dans la rue, devant les feux rouges, pour se payer le billet de retour. Et là, on s’est aperçu qu’on arrivait á gagner de quoi manger et dormir dans des petites auberges. Alors tout s’est enchaîné, c’est devenu une sorte de boulimie aventureuse, un défi quotidien.

Cela nous rendaient euphoriques, on était comme des mômes, en se disant “ Mais alors c’est si facile de voyager, de vivre de rien ? Chiche qu’on y arrive une journée de plus!” Pour nous, c’était juste une grande récrée insouciante, on n’avait aucun plan en tête, juste l’envie d’aventurer un peu.

On vivait littéralement au jour le jour, rien n’était prévu d’avance. C’est assez fou quand j’y repense le fait de ne pas savoir ce que j’allais faire le lendemain, de se laisser totalement porter par la vie, c’est une expérience unique. Je me levais le matin, j’allais jouer dans la rue pour gagner de quoi manger et dormir pour le soir. Puis quand j’en avais marre d’un endroit, je partais voir ailleurs si j’y étais. À un moment, j’ai aussi fait de l’artisanat. Je m’étais mis à créer des portes feuilles à partir de boites de lait que je vendais aux touristes. J’avais beaucoup de bagout, je leur expliquais que cela faisait partie d’un projet personnel, que cela me permettait de contribuer à mon échelle à la réduction de déchets, que c’était du commerce équitable. Bon, ce n’était pas totalement vrai, mais ça marchait vachement bien, surtout auprès des gringos. Et comme ça, j’ai passé 4 ans à parcourir tout le Brésil.

TOUTES LES ROUTES MÈNENT Á RIO DE JANEIRO

C’était une vie sans routine parce que les choses basiques comme les simples faits de dormir et manger fallait les gagner, ce n’était pas acquis. Je dois quand même avouer que parfois, j’avais du vague á l’âme. Parfois, je n’avais pas envie de jongler aux feux rouges, mais je devais quand même le faire, c’était devenu un job en soi. Alors je m’arrêtais pour regarder les gens passer en voiture. Je les imaginais rentrer chez eux où ils n’avaient qu’à ouvrir le frigo pour manger, je les imaginais s’affaler sur le canapé, dormir dans leurs lits douillets. Oui parfois, j’enviais toutes ces facilités. Mais je ne regrette absolument rien, ce sont les quatre meilleures années de ma vie parce que j’ai pu connaître tant de lieux différents, découvrir mon pays.

J’ai passé beaucoup de nuits á la belle étoile, á philosopher sur la vie avec des voyageurs venus de tous horizons. J’ai partagé des morceaux de vie avec les habitants de chaque endroits où je suis passé. J’ai vraiment pu découvrir tous les visages de mon pays, les gens qui le composent.

Et puis de saut en saut vers l’inconnu, j’ai atterri á Rio. Là, je me suis posé dans une auberge où je rendais des services en contrepartie d’un abaissement du loyer. La jonglerie rapportait beaucoup moins ici, les gens “collaborent » moins aux spectacles de rues. Alors j’ai commencé á travailler pour une sandwicherie, à reprendre un travail plus conventionnel, avec des horaires, des comptes à rendre. Puis j’ai voulu partir de l’auberge pour avoir mon coin á moi. J’étais fatigué de partager ma chambre avec d’autres personnes, d’avoir mon espace limité à une commode militaire et un lit. Par le bouche à oreille j’ai trouvé un appartement pas cher et sympa en banlieue.

Et là, “la fiche est tombée” comme on dit ici, sans me rendre compte, je me suis retrouvé sédentaire. C’était très étrange au début, cela m’a fait un drôle d’effet de revenir dans une routine. Métro-boulot-dodo, terminus de l’aventure. Mais je pense aussi que j’ai un peu passé l’âge, j’ai envie de construire ma vie maintenant. Bien sûr, j’ai toujours en moi cette soif d’ailleurs, qui ne me quittera jamais, mais je veux “l’incorporer” dans ma vie plus ordinaire. Je pense que je suis arrivé á un âge où il faut commencer á penser au futur, á construire quelque chose.

ESPECE DE PARAIBAS! OU LE RACISME ORDINAIRE

Pour l’instant, je suis content parce que je trouve que les choses m’arrivent au bon moment. L’année dernière, j’ai fait une formation dans l’audiovisuel et maintenant, je bosse dans une boite de production de films pornos. C’est assez marrant et c’est cool parce que je travaille dans ma branche.

Plus tard, j’aimerais aussi avoir des enfants pour pouvoir leur transmettre un savoir, des valeurs, une vision sur le monde. Je trouve que c’est qu’il manque le plus au Brésil. Une bonne éducation pour tous d’abord, mais aussi une éducation par l’ouverture sur le monde, des valeurs d’ouverture d’esprit. C’est ce qui manque beaucoup á ce pays. Et tout ça passe par l’éducation, c’est primordial, la base de tous changements.

Parce qu'à l’école on n’éduque pas seulement un enfant, on éduque toute une famille. Tout ce qu’apprends un enfant, il le passe aux parents. Puis cet enfant devient un adulte qui transmets ensuite á ses enfants.

Je pense que le plus gros chantier moral est de changer les mentalités vis-à-vis des préjugés. Je trouve que les Brésiliens en sont pétris, sur tout et tout le monde, de tout ce qui ne rentre pas dans le standard. Par exemple á Rio, je subis pas mal de racisme du fait que je viens du Nordeste. Les Cariocas sont très snobs, en général et envers les gens du nord en particulier. D’abord parce qu’ils font un amalgame entre tous ceux qui viennent des régions au-dessus de Minas Gerais (région située au-dessus de l’Etat de Rio de Janeiro), pour eux, c’est tous des “Nordestinos” et les Nordestins ne sont pas bien vus par le reste du pays. Le Nordeste est composée de régions pauvres, plus agricoles. Pour les gens du sud, c’est juste un grand No man’s land misérable, un peu leur “Afrique”, la partie honteuse du pays. Ils sont très condescendants envers ces “pauvres analphabètes, rustres, non civilisés qui viennent travailler dans la grande ville en tant que gardien, femmes de ménage, etc.” Mais ils ne connaissent même pas le Nordeste, la plupart n’y ont jamais mis les pieds !

La dernière fois, je me suis presque bagarré avec un typique fils á papa de la zone sud (les beaux quartiers de Rio). J’étais á une petite soirée chez une amie, on discutait de tout et de rien quand je ne sais plus pourquoi, ce type a dit quelque chose comme “ de toutes façon ces Paraibas, c’est tous les mêmes”. D’habitude, je ne réagis pas vraiment á ce genre de bêtises, mais ce jour-là mon sang n’a fait qu’un tour. Alors je commence á lui demander ce qu’il avait contre les Paraibas, si d’ailleurs, il connaissait l’État de Paraiba ou que comme tout le monde, il utilisait ce terme pour parler de tous les habitants du Nord. Il me répond que non mais qu’il a n’a pas besoin de connaître pour savoir que c’est le quart monde et que ces gens-là ne valent pas grand chose.

Alors calmement, je lui explique que d’abord, ce sont de belles régions avec des habitants intéressants, accueillants. Et que s’il se donnait la peine de sortir un peu de la Zone Sud carioca, qui est la carte postale du Brésil pour le reste du monde, il verrait l’autre versant de notre pays. Qu’il a beau snober toux ceux qui viennent du nord de son quartier, se prenant pour la crème de la crème, il ne se rend pas compte qu’on est tous les Paraibas d’un autre. Que s’il va á l’étranger, ce sera lui le Paraiba. Je lui ai sorti tout un long discours, tout ce que j’ai toujours voulu répondre á ceux qui me regardent de haut quand je me présente en tant que Paraense (habitant du Para), en lui assénant ces quatre vérités, devant tout le monde, tout en gardant mon calme.

J’avais l’impression de vivre ces scènes de films où l’anti-héros fait un grand discours et connaît son heure de gloire. Bon dans la réalité personne ne m’a applaudi ou porter aux nues. Le type était juste très énervé et a cru m’insulter en me traitant de Paraiba. Cela m’a bien fait rire.

Il y a tellement de choses à changer au Brésil: les mentalités, la corruption, les services publiques... Je pense que la seule solution envisageable serait une grande révolution, tout renverser pour tout reconstruire à neuf. Mais je ne fais que rêver.

L'ESSENTIEL EST DE BIEN VIVRE

Pour moi, l’essentiel et de “bien vivre”. Et bien vivre, c’est quoi ? Je pense que c’est moins vivre en fonction de son ambition personnelle, d’objectifs purement matérialistes, qui sont nécessaires mais pas essentiels. L’essentiel pour moi est de ne pas être dans la routine, mais toujours être dans l’aventure, car l’aventure, c’est ce qui te fait te sentir vivant. Quand je dis l’aventure, ce n’est pas forcément celle avec un grand A, l’aventure utopiste, celle des bouquins, du cinéma. Pour moi, l’aventure, c’est tout simplement savoir vivre intensément l’instant présent. Rencontrer, pour de vrai, une nouvelle personne, c’est déjà une aventure en soi, une aventure humaine. Dans le sens où quand tu rencontres quelqu’un, je veux dire une vraie rencontre, prendre le temps d’apprendre sur elle et par elle, cela t’emmène déjà dans un autre univers, nouveau, un autre point de vue.« 

Pour moi l’essentiel, le plus important dans la vie, je veux dire pour ne pas la rater c’est de savoir bien vivre. Je n’ai pas vraiment de définition concrète, c’est pas vraiment un concept en soi qui se définit par des mots concrets, ça se vit. Vivre bien c’est d’aller voir la mer et de s’y jeter au lieu d’y tremper les pieds, juste parce que t’en meurs d’envie et que tu te fiches des conséquences. Ouais c’est ça, c’est de se jeter dans la mer, complètement, intensément et de profiter de chacune de ses gouttes d’eau.
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