Isaque – Danseur de passinho, MC du Funk et créateur de fringues
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Post by Caroline Martins - Lefer
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« J’ai commencé à fréquenter les bailes vers 13 ans avec Everton et Branquinho, des amis d’enfance, au tout début de l’époque du passinho. Et sans m’en apercevoir, j’étais déjà dans ce milieu, il n’y a pas vraiment eu de début précis. On traînait toujours ensemble. Dès le réveil, je courais chez l’un ou chez l’autre. On traînait dans la rue et quand le soir tombait, on allait au baile. Et le lendemain, c’était pareil. C’était notre routine. On sortait tous les soirs, sauf le mardi parce qu’il n’y avait pas de fêtes. Mercredi, il y avait le pagode (un style de samba, plus lent) do Ceu Azul, jeudi, c’était le pagode do Rato, vendredi, il y avait le baile à Stuba, samedi, c’était sur la place Concorde, dimanche à Arara et lundi, il y avait le pagodinho de Manguinho (une favela voisine). Alors mardi, c’était le jour de relâche. Et c’était comme ça toutes les semaines pendant 5 ans.
Quand j’ai commencé à aller dans les bailes, j’essayais d’imiter les mecs qui y dansaient. À l’époque, c’était la mode des imitations de gays. On s’amusait à « faire les gays », à caricaturer les homosexuels tout en dansant le passinho. Puis à 14 ans, le groupe de funkeiros (chanteurs de funk) Os Facinhos (les garçons faciles) qui étaient les leaders de cette tendance m’ont repérés dans les bailes. Ils m’ont alors invité à venir danser avec eux sur scène. Puis j’ai commencé à les accompagner en tant que danseur à tous leurs concerts. On se produisait dans des concours de Funk dans toutes les favelas de Rio, et même dans d’autres régions, on a pas mal voyagé. On a gagné beaucoup de concours, on est devenu assez connu dans le milieu. Jusqu’au jour où on s’est aperçu que notre chanson la plus connue, Hoje tou facinho (Aujourd’hui je suis facile) passait à la radio.
J’étais danseur des Facinhos mais j’aidais aussi à écrire les chansons du groupe. Quand le groupe s’est dissous, je ne faisais rien d’autre dans ma vie, je ne vivais que du Funk. Alors j’ai commencé à faire des démos de Breakdance et de Hip-hop dans des fêtes d’anniversaire, des mariages, etc. Et puis j’avais cette envie de chanter, mais j’hésitais beaucoup. Je me disais : « J‘y vais, j‘y vais pas, je ne sais pas.« J‘étais vraiment pas sûr de moi. Puis un jour, j’ai décidé de me lancer en tant que MC et j’ai enregistré une chanson. Comme j’avais bien aimé, j’en ai enregistré une deuxième, j’ai encore plus aimé. Aujourd’hui, j’enregistre une troisième chanson qui va bientôt sortir. Pour l’instant, je les partage sur internet. Ça a pas encore cartonné, mais j’y crois, je fais tout pour que ça marche. Je suis sur le bon chemin et si tout va bien ça va marcher parce que je ne me vois pas faire autre chose. Je ne prévois rien d’autre, c’est ça ma vie. Quoique nan, maintenant, je fais quand même des plans. J’ai créé une marque de fringues avec ma femme. On fait des bermudas en sweat.
Les fringues ? C’est venu un peu par hasard. Ça fait sept ans que je suis avec ma femme, elle a pris des cours de couture et voulait travailler dans la mode. Alors je lui ai dit : « Ok mais il faut bien commencer quelque part.« Elle m’a répondu qu’elle voulait commencer par vendre des fringues. Je lui ai dit banco. Du coup, j’en ai parlé à ma grand-mère, qui avait des économies. Avec l’argent, on a acheté un stand en ville et des fringues chez le grossiste, puis on a commencé à vendre des fringues sur la place du Jacarezinho. Ça marchait bien, alors on a loué un petit magasin. Puis ça s’est arrêté quand on a eu des problèmes avec le proprio. Aujourd’hui, on conçoit nos propres vêtements pour les vendre sur internet. On fait des shorts et des pantalons en sweat, d’inspiration Hip-hop. J’arrive avec des idées et ma femme les mets sur papier et les conçoit.
Il n’y a pas de style défini dans le passinho, c’est comme la danse, chacun a son propre style. Il n’y a pas de mode. Y en a beaucoup qui aiment bien les vêtements larges, mais pas d’autres, y en a qui dansent en bottes, d’autres en tongs, chacun vient avec son style, il n’y a pas de règles.
J’écoute du Funk depuis que j’ai commencé à fréquenter les bailes. Je peux écouter d’autres trucs dehors, mais chez moi, il n’y a que du funk. Je suis un funkeiro né. Quand j’ai commencé à danser, j’admirais os Ousados. Avant d’être connus, ils s’entraînaient près des rails, à côté d’ici, dans une petite maison. Dans les MC j‘aime bien MC Marcinho, MC Curinga, des funkeiros melody, du Funk calibré pour les dancefloors, dont je m’inspire pour composer. Sinon j’écoute tous les types de funk, du explicit au plus pop.
Je m’inspire du quotidien pour écrire mes chansons. Par exemple quand quelqu’un me dit un truc marrant, j’y repense jusqu’à en faire un rythme. Quand le rythme est trouvé, je développe la chanson avec des trucs du quotidien comme la fête, les boites, parler avec le DJ, voir les meufs danser, etc. Je chante aussi ce qui nous fait tous rêver, comme par exemple avoir beaucoup d’argent pour pouvoir frimer et tout plein de trucs que tu ne peux pas faire, mais que t’aimerais bien avoir. Ce sont mes principales sources d’inspiration.
Par exemple, la dernière fois, j’entends un mec me dire « Regarde la meuf twerker« . Ça sonne bien. Alors je me répète cette phrase, jusqu’à en faire ressortir son rythme, sa mélodie. Et une fois son rythme trouvé, il y a plus qu’à enchaîner les paroles avec des trucs que j’entends au quotidien ou que j’aimerais bien qui arrive. Ça coule tout seul.
Ma dernière chanson, je l’ai écrite à Sao Paulo. À la base, je voulais écrire un funk explicit. Et là, je commence à écrire : « Elle s’assoit, elle twerke, elle bouge du popotin, elle danse sensuellement et descends jusqu’au sol.« Et de fil en aiguille c‘est devenu autre chose, je suis parti vers un style plus melody, fait pour danser en boite. Je suis en train de l’enregistrer, elle va bientôt sortir.
J’aimerais avoir la belle vie. Je ne rêve pas de luxe mais d’avoir une vie facile. Une vie facile, c’est de voir un truc dans une vitrine et pouvoir l’acheter. C’est pouvoir manger ce que je veux, pouvoir sortir avec ma femme ou avec mes amis et boire à volonté. Et non pas sortir dans la rue avec 2 reais en poche et devoir choisir entre un sandwich et un jus, avoir la belle vie, c’est pouvoir manger son sandwich avec un jus. C’est pouvoir aller au restaurant, emmener ta femme faire du shopping et sortir avec tes amis, en ayant encore de l’argent pour pouvoir faire les courses le lendemain. Ne plus avoir à réfléchir à ce que tu vas dépenser. En te disant, si je mange au Mac Do aujourd’hui, je ne pourrais pas m’acheter mes tongs demain.«
Pour moi, avoir la belle vie c'est pas d'avoir un yacht ou voyager en jet privé mais ce que je veux vraiment c'est pouvoir vivre, parce qu'aujourd'hui je survis. Isaque
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