Aujourd’hui, les potes du dimanche sont les créateurs de la danse qui accompagne le Funk, le Passinho. Le Passinho se traduit littéralement par “petit pas”. Ce petit pas, est une sorte de balancement nonchalant-excité. Un oxymore qui résume bien ces gamins de favelas de la banlieue de Rio de Janeiro qui dansent pour exister.
Ce portrait fait partie d’une trilogie sur le Passinho, découvrez les autres cartes postales :
> Passinho – Danser pour exister : tout sur la genèse de la danse du Funk.
Le Passinho est issu du Funk, moyen d’expression des gamins des favelas cariocas pour partager leurs vies, les petites histoires du quotidien et leur ras-le-bol face à l’injustice et l’inégalité en musique. Il est défini par ce beat facile et accrocheur, en écoute ici.
L’histoire du Funk puis de sa danse, n’est pas sans rappeler les débuts du rap et du breakdance dans les ghettos américains. Ils sont issus des mêmes conditions économico-sociales et du même rêve d’ascension sociale. Comme son grand frère américain le funk a surgi dans les années 80, sur les Morros (collines en portugais) cariocas. D’abord purement contestataires, les funkeiros dénonçaient les injustices sociales et la ségrégation que subissaient les habitants des favelas. De par sa géographie, Rio est imprégnée par cette lutte des classes. La division de ces habitants rappelle la partition sociale des immeubles haussmanniens au 19e siècle, avec en bas, les classes hautes, en haut, leurs employés.
La chanson iconique des débuts du funk est Rap da felicidade de Cidinho e Doc dont les paroles résument bien la réalité des Comunidades.
Depuis, le funk a multiplié son style pour voir surgir des chansons plus mélodiques, faite pour le dancefloor comme Anitta et Naldo, devenus des stars dans tout le pays. Ou encore le funk explicit avec des paroles très sexués comme Mister Catra.
LA GENESIS DU PASSINHO
À la fin des années 90, dans la favela du Jacarezinho située dans la banlieue nord de Rio, les bailes funk faisaient fureur sur les places des comunidades. Les bailes sont des fêtes populaires où l’on twerk sur du funk. Là, une bande de jeunes comme tant d’autres passait toutes leurs nuits à arpenter les bailes de leur quartier. Ils étaient une demi-douzaine à bouger dans leur coin, chacun avait son style, ensemble, ils formaient un tout. De bailes en bailes, ils rencontrent ceux qui deviendront leurs amis, leurs premières copines.
‘À l’époque, on était jeune, on faisait pas grand chose, on ne bossait pas ni rien. On vivait encore chez nos parents. On avait environ 16 ans. Y en a un qui a commencé à y aller en cachette à 13 ans. Il disait à sa grand-mère qu’il allait se produire dans différents bailes avec son groupe. En vérité, il se produisait à un baile et y passait toute la nuit.’
Et puis, il y avait toujours ces deux types, les gros fêtards du coin qui buvaient plus que les autres. Ils ne dansaient pas, ils se contentaient de se frayer un chemin entre les gens pour faire la tournée des vendeurs de bières ambulants.
‘Ces deux mecs venaient à tous les bailes. Et y en avait un qui buvait beaucoup, il restait là à se balancer mollement, ou il traversait la foule en faisant semblant de danser, mais c’était plutôt une démarche de mec bourré. Il nous faisait marrer, alors pour rigoler, on a commencé à l’imiter. On se balançait de droite à gauche en traînant des pieds. Ça a débuté comme un jeu, on a commencé à le chambrer en dansant. Et mine de rien, ça collait bien avec la musique. Puis on a commencé à ajouter d’autres mouvements et ça a pris.’
Et ça a tellement bien pris que d’autres danseurs ont commencé à reprendre leurs mouvements. C’était devenu le nouveau truc cool des bailes. Ces mômes étaient surpris de se voir imiter à leur tour. Chaque semaine quelqu’un venait en essayant de faire comme eux et finissait par ajouter leur influence. L’un y mettait du Frevo (danse populaire du nordeste), puis la fois d’après tout le monde dansait le « petit pas » en mélangeant du Frevo. Puis au baile suivant, un autre ajoutait à ce passinho teinté de frevo des pas de samba, puis sont venus des influences hip-hop, electro ou du folklore brésilien. Et de pas de danses en freestyle, le passinho est devenu un véritable mouvement des foules. Avec chacun son style tout en suivant la rabiscada, le pas de base, avec ce flow propre au Funk.
Démo de Rabiscada, le pas de base du Passinho
Le passinho a surgi en 1997 dans les baile du Jacarezinho mais il a commencé à vraiment être divulgué dans les années 2005 – 2006. Quand les danseurs d’autres favelas venaient au baile de la praça Concorde et revenaient dans leurs quartiers avec ce qu’ils avaient appris ici. A partir de là, c’est devenu un véritable phénomène et par la même occasion une danse à part entière. Puis il a vraiment explosé en 2011, lors des premières Batalha de passinho, quand des exhibitions ont été programmé dans des salles de la zona sul, les quartiers privilégiés de Rio.
A partir de là, la bande de copains a commencé à nommer leurs pas de danses pour pouvoir les enseigner aux autres.
« Maintenant, on a tous à peu près le même style de danse parce qu’il y a une base, ce qui n’était pas le cas au début. Aujourd’hui, on a déjà nommé différents pas, comme la cruzada, embolada etc… Maintenant quand on te dit fait um sabara par exemple tout le monde sait ce que c’est. Y avait pas ça avant. Les gens arrivaient, nous regardaient et ils tentaient de nous imiter, mais évidemment cela donnait encore autre chose. C’est comme ça que le Passinho a évolué. C’est comme au skate, quand t’inventes un truc, tu lui donnes un nom. On a fait ça quand on a commencé à l’enseigner aux plus petits, parce que c’est impossible d’essayer d’enseigner un truc qui n’a pas de nom. Parce que sinon tu leur dis :
– Vas-y fait le machin.
– Ouais, mais quel machin.
– Le truc là avec les pieds.
– Ha bah ouais, mais ça veut rien dire.«
Il y a encore pleins de trucs sans noms, mais une partie est déjà nommée, ce qui fait la base du passinho. Maintenant, tu dis, fait un sabara, bah les gamins savent ce que sait. Avant, c’était plus pour rigoler. Les choses commencent à vraiment exister quand elles sont nommées.’
LES NOUVEAUX IMPÉRATEURS DE LA DANSE
Aujourd’hui le passinho est devenu un véritable mode de vie pour la bande de copains. Danser est devenue une manière d’exister, un moyen de se sortir de leurs difficultés quotidiennes. Ils ont créé leur propre groupe de danseurs, Os imperadores da dança, qui réunit aujourd’hui une centaine d’élèves dans leur favela d’origine, Jacarezinho.
Isaque et Douglas sur le toit d’une maison au Jacarezinho
« À l’époque, on était les plus tops. Quand on a vu surgir les Reis da dança, on s’est dit « he ho c‘est nous qui avons inventé le passinho. » « Ok, si eux ce sont les rois alors nous, on sera les Impérateurs de la danse. » Baianinho, un danseur de notre bande, ne supportait pas qu’on dise qu’on soit meilleur que lui. C’était un bagarreur, Baianinho. Il provoquait des battles pour montrer à tout le monde que c’était lui le chef. Et il gagnait ! Et s’il ne gagnait pas, il dansait jusqu’à ce que tu lui dises qu’il avait gagné. Il ne se fatiguait jamais. Il attendait que ce soit toi qui soit fatigué. Et c’est comme ça que sont venues les battles de passinho.«
Baianinho s’est rapidement fait un nom dans le milieu. Les gens venaient d’autres favelas pour batailler avec lui. Il est devenu une icône pour les plus jeunes danseurs. Aujourd’hui devenu MC, il a rejoint le célèbre collectif de funkeiros de São Paulo, Funk da Elite.
LA FIN DES BAILES AU JACAREZINHO
En 2008, la préfecture de Rio a initié un large programme de « pacification » des favelas cariocas afin de sécuriser la ville à l’approche des évènements internationaux. Des « Unités de Police Pacificatrice » se sont implantés au sein des morros pour reprendre la gestion de leurs communautés.
Quand l’UPP s’est installé au Jacarezinho, les policiers ont très vite trouvé un moyen d’empêcher ses habitants de faire des bailes funk. Ils ont invoqué la « loi du silence » qui impose l’arrêt de toutes activités bruyantes après 22h ainsi que l’obligation de demander des autorisations à la préfecture pour l’organisation de tout évènement. Or les favelas cariocas sont composées de petites maisons, construites les unes à côté des autres, de manière assez anarchiques. Il n’y a jamais de silence, la musique y est toujours présente, ses habitants vivent en collocation sonore avec leurs voisins.
Comme le résume bien Douglas, l’un des danseurs interviewés : “Un baile ça se fait dans la rue, c’est impossible de ne pas avoir une maison aux alentours. Même si tu mets ta petite chaîne hi-fi à la maison; les gens vont l’entendre. On vit tous les uns sur les autres. »
Vue sur les toits de la favela du Jacarezinho
Cette « normalisation » du Jacarezinho a bouleversé les habitudes de ces habitants et donc des bailes funks, qui s’organisent dans la rue, souvent à l’improviste. Selon Isaque, un autre danseur de la bande, cette décision de l’UPP vise à censurer ses fêtes populaires : « ils ont commencé à dire qu’à cause des bailes, il y avait du trafic de drogue. Rien à voir, la drogue, elle est partout, ici, comme ailleurs. Et puis les gens font des amalgames et ont des a priori sur les bailes funks. C‘est pas parce que tu écoutes une musique que tu fais ce qui est dit dans la chanson. C‘est pas parce que tu écoutes du funk que tu te drogues, où que les filles qui « twerkent » sont des traînés. On est juste là pour s’amuser et rencontrer des gens.«
Alors avec la fin du célèbre baile de la praça Concorde du Jacarezinho, tous les amateurs de bailes se sont tourné vers ceux de la favela Mandela, pas encore « pacifiée ». Quant aux fondateurs des Imperadores da dança, c’était devenu plus compliqué de se produire dans les autres bailes. Alors les plus connus d’entre eux sont partis se produire à São Paulo, où il y a plus d’argent à se faire. Aujourd’hui Rio est la terre du funk mais les funkeiros les plus célèbres sont partis à São Paulo, la capitale économique du Brésil.
'Les bailes étaient super populaires. Tout les gens du quartier venaient au moins y faire un tour, que ce soit pour danser, ou juste écouter la musique, prendre un verre ou manger un morceau. Certains y allaient en rentrant du boulot et en repartait au petit matin pour reprendre le travail. De 7 à 77 ans, tous les voisins se retrouvaient sur la place. C'était vraiment ouvert à tout le monde et tout le monde y venait.'
Quant à ceux restés au Jacarezinho, ils se produisent aujourd’hui dans des évènements culturels cariocas et surtout ont monté leurs cours de danse. Deux fois par semaine, les anciens se retrouvent avec les gamins du quartier au tout nouveau Centre d’activités construit par la préfecture. Là, ils apprennent la danse aux enfants et aux ados, qui rêvent à leurs tours de vivre du funk.
« Y en a qui disent que le passinho c’est facile mais quand ils tentent de danser comme nous, ils n’y arrivent pas. C’est vraiment quelque chose qui vient de nous. Une façon de danser différente. C’est une vrai danse avec sa propre culture. »
Partagez un cours de passinho avec les Imperadores da dança
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> Passinho – Danser pour exister : tout sur la genèse de la danse du Funk.