Le fabuleux destin de Joseph – Part III

Le pote de ce dimanche est un pote un peu particulier. C’est un monsieur de 92 ans né en Italie, ancien résistant et marin au long court, qui est venu tenter l’aventure brésilienne dans les années 50. Il se repose aujourd’hui dans une maison de retraite dans la banlieue de Rio de Janeiro. Il a bien voulu partager ses souvenirs et ses aventures peu communes avec vous. Vous découvrirez ses aventures au fil de ses anecdotes, sur plusieurs dimanches.

Dans les épisodes précédents, vous avez pu faire connaissance avec Joseph à travers ses années de jeunesse dans la résistance. Aujourd’hui notre pote du dimanche vous raconte son premier mariage, son grand départ pour le Brésil et ses années de marin.


Ce portrait fait partie d’une série autour de la vie de Joseph, retrouvez les autres épisodes :
1 – Les années de jeunesse 2- Les années dans la résistance 3- Les années brésiliennes 4- Les dernières années
Joseph à 20 ans.

Joseph à 20 ans.

« Je me suis marié une première fois à 20 ans. J’ai rencontré Marguerite au restaurant de ma tante, pendant la guerre. Elle y travaillait et y était logée. On avait des chambres séparées mais bon ce qui devait arriver arriva, je l’ai mise enceinte. Je ne l’ai jamais vraiment aimé, j’ai toujours su que ça n’allait pas marcher mais nos familles m’avaient mis la pression pour en faire une « honnête femme ». Alors quand elle était à 6 mois de grossesse, ma tante nous a emmenés à la mairie.

Elle avait invité une de ses amies pour servir de témoin. Je ne sais plus pour quelle raison, elle n’a pas pu venir. L’heure approchait, il nous fallait absolument un 2e témoin. On voit alors passer un soldat français à moitié saoul, ma tante lui propose de venir à notre mariage en tant que témoin. Le gars était tellement content ! Il ne cessait de répéter que c’était la 1re fois qu’on lui demandait d’être témoin. Puis, sur le chemin du retour, je dis à ma femme qu’on n’allait pas rester longtemps ensemble. Elle a pleuré. Je me sentais coincé, j’étais jeune, je tenais trop à ma liberté et puis je ne l’aimais pas vraiment. J’ai supporté une année environ et puis j’ai demandé le divorce. Ensuite, j’ai décidé de partir, j’avais envie d’ailleurs, d’aventure.

Écoutez Joseph décrire les photos ci-dessus :

Écoutez Joseph décrire sa relation avec son 1er fils, Hervé :


LARGUER LES AMARRES, EMBARQUER POUR LE BRÉSIL


Un jour, je croise un copain dans la rue, il était tout bien habillé, il avait l’air heureux. Je lui ai demandé ce qu’il faisait habillé comme ça. Il m’a alors dit qu’il partait le lendemain pour le Brésil et que c’était assez facile vu qu’il suffisait d’un certificat de bonnes moeurs, un certificat médical et un autre attestant de sa profession. J’avais déjà envie de partir et j’avais essayé plusieurs ambassades sud-américaines. Ça m’a trotté dans la tête jusqu’à ce que je me débrouille pour rassembler tous ces papiers. L’ambassade brésilienne m’a rapidement donné un visa. C’était alors décidé, ce sera le Brésil. J’ai pris un billet pour le premier bateau en partance pour le Brésil.

J'étais tellement content de partir, de larguer les amarres pour vivre enfin la grande aventure. Je me sentais bien, sans regrets.

Le voyage a duré un bon mois. On a fait escale par l’Espagne, Lisbonne et on devait faire un dernier ravitaillement sur une île portugaise, mais ça n’a pas été possible. Du coup, on s’est vite retrouvés sans eaux ni beaucoup de vivres. La nourriture se résumait à du riz et des haricots noirs, c’était la misère. J’avais quelques dollars en poche, mais ils n’ont pas duré longtemps, j’ai tout dépensé à la cantine pour manger. On était environ 500 passagers dont une trentaine seulement à avoir payé le voyage. Les autres étaient tous des réfugiés du rideau de fer, des Juifs qui avaient fui le communisme, eux ils étaient bien.

En face de ma cabine, il y avait celles d’un type d’une trentaine d’années, qui ne parlait pas beaucoup et une russe qui prétendait être baronne. Le type était un S.S. allemand qui avait été fait prisonnier en France, pendant la guerre. Il s’était marié avec une Équatorienne pour pouvoir s’enfuir en Amérique du Sud. Une fois, lors d’une discussion, il se plaignait qu’il avait été fait prisonnier et qu’on l’avait envoyé travailler dans une mine de charbon dans le Nord-Pas-de-Calais. Au bout d’un moment, je lui ai dit : « T’as pas à te plaindre, on t’as pas fusillé toi ! » Si les gens ne s’étaient pas interposés, on se serait bagarrés. Depuis, je ne lui ai plus jamais adressé la parole.

Joseph et le prisonnier allemand lors de l'escale à Lisbonne. 1948

Joseph et le S.S. allemand lors de l’escale à Lisbonne. 1948

Écoutez Joseph commenter la photo ci-dessus : 


ARRIVÉ Á RIO, OÚ JE VAIS MAINTENANT?


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Praça Maùa, centre de Rio de Janeiro, 1951.

On a débarqué à Rio un dimanche, tout était fermé, les rues du centro étaient vides. Une fois passé la douane, je me retrouve sur la place Maùa où je vois un immeuble de 20 étages, c’était la 1ere fois que j’en voyais un! J’avais plus un sous en poche. Alors je me suis assis sur une des marches de la place, la tête entre les mains, et je me suis dit :  » où je vais maintenant ?«  Je me sentais perdu. Plus le temps passait et moins je savais ce que j’allais faire.

Quand tout à coup, j’entends mon nom. C’était un copain français rencontré sur le bateau qui passait en taxi avec un ami. Ils se sont arrêtés à ma hauteur et m’ont demandés où j’allais. Je leurs ai répondu que je ne savais pas et que javais plus rien. Alors, ils m’ont invités à monter avec eux et m’ont emmenés dans une petite pension. Son ami était un Français aussi, qui vivait au Brésil depuis quelques années. Il m’a prêté de l’argent pour louer une chambre et m’en sortir quelque temps. J’y suis resté quelques années.

C’était la meilleure époque du Brésil. Il n’y avait pas encore la dictature. La vie n’était pas chère, elle était aussi plus facile. Il y avait des crimes, mais ça restait des règlements de comptes entre voyous, il n’y avait pas de grandes violences. La mentalité était bonne, les gens étaient sympas. Et puis il y avait le carnaval, ha le carnaval !


DE LA MÉCANIQUE AUX FLUIDES


Joseph le mécanicien automobile. Viaçâo Carioca - 1951

Joseph le mécanicien automobile. Viaçâo Carioca – 1951

Très vite, on m’a proposé de travailler dans un atelier de réparation de vélos. Avec les sous gagnés, j’ai pu rembourser le Français qui m’avait prêté de l’argent. Puis je suis allé au Consulat pour demander s’ils avaient du boulot pour moi. Je leur ai dit que j’avais été chauffeur poids lourd, mais ils m’ont dit qu’il fallait vivre au moins 5 ans au Brésil avant de pouvoir passer le permis spécial, c’était une mesure pour favoriser le travail aux Brésiliens. Le Brésil a toujours été très protectionniste, cest pas plus mal remarquez. Le conseiller technique m’avait dit qu’il allait m’arranger quelque chose. Il m’a recommandé à un atelier de mécanique. Et c’est comme ça que j’ai été mécanicien pour une compagnie d’autocars de luxe pendant quelques années.

J’ai travaillé dans toutes les entreprises du secteur. Dans le premier atelier où j’ai travaillé, un ingénieur de la General Motors m’avait tout appris sur les modèles avec boite de vitesse automatique, c’était rare à l’époque. Il y avait quatre entreprises qui en avaient et ils se disputaient les bons mécanos. Du coup, dès que je n’étais pas content dans une boite, j’allais chez la concurrence. Je me suis bien débrouillé. À partir de là, j’ai eu pour ainsi dire une bonne vie, je n’avais pas à me plaindre. Et quand ça ne l’a plus fait dans le dernier atelier, je suis parti. Comme j’avais pas mal d’économies, j’ai pris un billet pour l’Argentine. La bougeotte m’avait repris et comme à l’époque c‘était une destination à la mode, je me suis dit que je devais aller voir ça. J’y suis resté quelques mois, jusqu’à ce que je perde tous mes sous au casino de Punta Del Este. Alors, comme j’avais mon billet de retour déjà réservé, je suis revenu à Rio.


LA VIE DE MARIN


Un jour, j’ai recroisé un Italien que j’avais rencontré sur le bateau en venant au Brésil. Il m’a demandé si j’avais mon passeport à jour. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu qu’il y avait un équipage suédois qui cherchait des marins. Cétait pas si facile d’embarquer. Pour y arriver, j’ai offert un pantalon au boy de la compagnie pour qu’il me pistonne auprès du capitaine. Quand je suis arrivé devant le Capitaine, il m’a demandé si je parlais anglais. Je lui ai dit que je parlais un peu anglais, de quoi me débrouiller. Il m’a alors redemandé : « Nan mais tu le parles ou pas l’anglais. Il y pas de demi-mesure.«  Je lui ai alors répondu que oui, je parlais anglais. Alors il m’a dit :  » Ok passes au bureau, prends une fiche et demande un visa de sortie.«  Et c’est comme ça que je suis devenu marin. J’aimais voyager donc c’était le boulot parfait pour moi.

J’ai commencé comme mousse pour quelques dollars par mois. C’était quand même pas mal parce que le cruzeiro était bas. Finalement, j’ai navigué 16 ans. J’ai commencé comme mousse puis 2e matelot et j’ai fini comme 1er matelot. Alors là, c’était royal, je gagnais 1 000 $ par mois. À l’époque, c’était très bien.

Rien que la 1re année, j’ai eu 10 bagarres parce que les Scandinaves n’aimaient pas les Latins. J’embarquais par exemple à Rio, j’allais jusqu’à New-York, en passant par plusieurs escales, on vous donnait un laissez-passer de 3 semaines. Je visitais la ville et après quand le bateau revenait je ré embarquais. C’était un cargo avec trois cabines pour les passagers. À chaque voyage, il y avait 2 ou 3 couples. Surtout des vieux retraités américains de la haute qui se payaient des vacances en Amérique du sud. À l’époque, les croisières coûtaient cher.


ARRESTATION NEW-YORKAISE


Joseph à Bourbon Street

Joseph à Bourbon Street

Une fois en passant à Recife, j’ai acheté un oiseau exotique. Je le gardais dans ma cabine, il voyageait avec moi. Il n’arrêtait pas de chanter. Je lui avais acheté un mélange de graines spéciales avec du chanvre, de l’orge et du millet à Buenos Aires. Un jour que le bateau passait par Rio, j’ai voulu le ramener à la maison. A l’époque, j’avais acheté un petit appartement où vivait ma fiancée.

À la douane portuaire, je déclare que je voulais passer avec un oiseau. Mais j’étais tombé sur le chef qui m’a dit : « il y a rien qui sort avec moi !«  Je devais vite trouver une solution. Alors je suis revenu à ma cabine, j’ai sorti l’oiseau de sa cage et je l’ai mis dans ma poche. Je suis redescendu du bateau et suis passé par un autre poste de douane. Je suis passé comme une lettre à la poste.

Quelques jours après je rembarque pour New-York. Arrivé là-bas, le directeur de douane faisait inspecter le bateau. Un des douaniers a visité ma cabine, il voit la cage vide. Pui il voit le pot avec les graines au fond de mon placard. Il l’ouvre et voit des petits bouts de feuilles sèches. Il les prend, les renifle et me dit :« marijuana. » Je lui ai dit : « no, no marijuana.«  Il a insisté en disant que c’était de la drogue. Il me demande alors de le suivre dans la cabine du capitaine où il y avait aussi le directeur de douane et la police. Le capitaine m’a demandé ce qu’il se passait. Je lui ai répondu que j’avais un problème avec les graines de mon oiseau. Ils se mettent à parlementer tous ensemble.

Comme on repartait pour le Canada et qu’on revenait le mois d’après, le douanier a dit :  » en attendant votre retour, on va faire un test. On va planter la graine, si ça pousse pas, c’est bon, sinon t’es marron.«  Malheureusement quand on est revenu au port, il y avait déjà la police sur le quai. On m’a convoqué. Les policiers m’ont dit que la graine avait germé. Mais ils me l’ont jamais montré ! Ils m’ont dit que j’étais en infraction. Le capitaine, plaide en ma faveur, mais ça n’a rien donné. Les policiers m’ont embarqués au poste.

On m’a fait entrer dans un bureau. Sur la table, je vois une plaque avec le nom Jacques Change. Je me suis dit : « merde un Français. » Il m’a alors interrogé en français. Je lui ai expliqué mon histoire. Il m’a dit que je m’étais mis dans un drôle de pétrin. Je lui demandé pourquoi. J’avais l’impression d’être dans un film de gangsters. J’étais assis sur une chaise, la lampe dans la figure et de l’eau glacée qui me tombait dans le dos.

Tout à coup, j’ai entendu un bruit derrière moi, il y avait une porte par où est entré un type baraqué comme un gorille. Le Français m’a dit:

 » -Ecoutes c’est le moment de parler, parce qu’il fait mal hein.

Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, c’est la vérité.« 

Le gorille s’est avancé et a mis les deux mains sur le dossier de ma chaise. J’avais l’impression que la chaise s’enfonçait dans le parquet. J’étais pétrifié. Il m’a giflé de tous les côtés. À la fin, le flic m’a dit : « je vais appeler le juge. Vous avez le choix : soit vous revenez en France, soit vous aller en prison.«  Évidement j‘ai choisi le retour en France.

Après il m’a demandé ce que j’avais fait pendant la guerre. Quand je lui ai dit que j’étais partisan, il m’a demandé si j’étais communiste. Je lui ai dit que non que j‘étais seulement partisan. Je lui explique aussi que je vivais avec une Brésilienne. Il a compris que j’étais son maquereau. Je lui fais comprendre que non, que c’était bien ma fiancée.

Au bout d’un moment, il rappelle le juge. Ils discutent un moment, il lui raconte tout l’interrogatoire. Il raccroche, me regarde et me dit : « Bon, comme c’est votre première infraction aux Etats-Unis, le juge vous pardonne.«  J’étais tellement content ! 

Joseph et son ami Argentin, à New-York.

Joseph et son ami Argentin, à New-York.

En sortant du poste de police, je marche vers Brooklyn. À un moment donné, je m’arrête à une droguerie pour acheter du dentifrice. À la sortie de la droguerie, je vois un type qui avait déjà retenu mon attention parce qu’il portait une chemise fleurie. Ce type, je l’avais déjà vu dans l’immeuble de police. Je me suis alors rendu compte que j’étais suivi. Je le voyais dans tous les reflets des vitrines. Alors je continue mon chemin, après tout, j’avais rien à me reprocher.

Dans la rue, je croise un copain argentin qui était clandestin aux Etats-Unis. Il fréquentait un mec qui arrangeait des mariages blancs avec des Américaines. Quand il me voit, je lui dis discrètement :  » cours, la police me suit.«  Quand il a entendu ça, il a détalé comme un lapin. Je suis alors revenu au bateau. Le policier est reparti, il a bien vu que je connaissais personne à New-York et que donc je n’étais pas un trafiquant.

Une fois arrivé sur le quai, mon capitaine m’a demandé comment ça s’était passé. Je lui ai tout raconté. Il m’a dit ok, on repart. Une fois rentré à Rio, je passe à la maison changer de valise parce qu’on devait repartir le jour même. Une fois revenu sur le bateau, le capitaine me convoque et me donne un papier avec l’entête Trésor des Etats-Unis. C’était une amende de 500 $. Le Français qui m’avait interrogé n’avait pas prévenu qu’il me collait quand même une amende. C’était beaucoup pour moi parce que ça représentait 2 mois de salaires. Je pensais que j’avais été pardonné. Je lui ai alors proposé de retenir l’argent sur mon salaire. Puis en revenant aux Etats-Unis, l’avocat de ma compagnie maritime a demandé à réduire l’amende. J’ai obtenu de payer la moitié. J’étais soulagé. Après, cette histoire, j’ai quitté ce bateau, j’en avais marre de l’ambiance qui y régnait.


HISTOIRES D’EAUX


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A bord du SS Rio Grande - 30 mai 1954

A bord du SS Rio Grande – 30 mai 1954


Joseph à la Nouvelles Orléans


Mexique


Retrouvez la suite des aventures de Joseph dimanche prochain.

> En attendant, retrouvez le premier épisode de la série : « Le fabuleux destin de Joseph ». 

> Ainsi que le 2e épisode de la série : « Le fabuleux destin de Joseph ». 

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